8 questions pour comprendre la réforme de la responsabilité des ordonnateurs
Par Isabelle Cormaty | Le | Personnels et statuts
Si vous êtes directeur de composante, de service ou d’unité de recherche, cette réforme vous concerne ! À partir du 1er janvier 2023 s’appliquera un nouveau régime de responsabilité financière des gestionnaires publics. En cas d’infraction, la responsabilité sera désormais partagée par tous les acteurs de la chaîne. Explications.
Fini le régime de responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics ! À partir du 1er janvier 2023, un nouveau système de responsabilité financière entrera en vigueur. L’ordonnance entérinant cette réforme a été signée par le président de la République, Emmanuel Macron le 23 mars 2022 puis publiée au Journal officiel le lendemain. Voici ce qu’il faut en retenir.
1. Qui est à l’origine de cette réforme et pourquoi ?
Prévue par la loi de finances pour 2022, cette réforme a été portée par le gouvernement dans le cadre du programme « Action publique 2022 ». Elle figurait aussi dans le projet stratégique « Juridictions financières 2025 » initié par le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici.
Le fondement de ce texte « se trouve dans une volonté de la Cour des comptes de rénover le régime de responsabilité des gestionnaires publics, autour d’un constat partagé que c’était un régime à bout de souffle marqué par une jurisprudence d’une extrême sévérité à l’encontre des comptables publics et une ”responsabilité sans faute” unique au monde, c’est-à-dire qui ne sanctionnait pas l’auteur de la faute, mais le manquement du comptable public », retrace José Morales, président de l’association des agents comptables des universités et établissements du supérieur et agent comptable d’Université Paris Cité.
D’après le gouvernement, cette réforme remplit trois objectifs :
- « sanctionner plus efficacement les gestionnaires publics qui ont commis une faute grave ayant causé un préjudice financier significatif,
- limiter la sanction des fautes purement formelles ou procédurales,
- moderniser d’autres infractions dont sont actuellement passibles les justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière » comme la faute de gestion, l’avantage injustifié ou le régime spécifique de la gestion de fait.
2. Quelles évolutions par rapport au régime actuel ?
« Jusqu’ici c’était vraiment l’aval de la chaine de gestion qui était mis en responsabilité, sans prise en compte du contexte de l’établissement. Le budget significatif ou pas de l’établissement n’était par exemple pas pris en compte dans les analyses du juge financier. Il pouvait alerter pour des points qui n’étaient pas significatifs, ce qui rendait très illisibles aussi les décisions prises », analyse Jérôme Mourroux, associé du cabinet de conseil EY.
Un agent comptable pouvait par exemple être sanctionné pour des vices de procédures ou en cas de non-production suffisante de pièces justificatives, bien qu’aucun préjudice financier ne puisse être estimé.
La réforme a pour ambition de remédier aux limites actuelles du régime de responsabilité des ordonnateurs et des comptables et de favoriser la responsabilisation de tous les gestionnaires publics.
Seront ainsi mis en cause les auteurs des fautes et non leur hiérarchie. Et seules les fautes graves ayant causé un préjudice financier significatif à l’établissement pourront être sanctionnées.
La séparation ordonnateurs/comptables renforcée
L’ordonnance réaffirme le principe de séparation entre l’ordonnateur et le comptable ainsi que les missions de contrôle qui incombent à ces derniers. Le texte permet aussi au comptable de signaler à l’ordonnateur toute opération susceptible de relever d’une infraction, sanctionnée par le juge financier.
3. Quand la réforme s’appliquera-t-elle ?
Ce nouveau régime de responsabilité entrera en vigueur à partir du 1er janvier 2023.
Dans les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie, la suppression de la responsabilité pécuniaire et personnelle des comptables publics aura lieu plus tard, après l’adoption d’une loi organique.
4. Qui est concerné par la réforme ?
Le régime juridictionnel unifié de responsabilité des gestionnaires publics s’applique aussi bien aux personnels fonctionnaires qu’aux contractuels. Dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, sont donc concernés :
- l’ensemble des ordonnateurs,
- et les personnes disposant d’une délégation de signature de l’ordonnateur principal, comme les directeurs de composantes, les directeurs d’unités de recherche ou encore les chefs de service.
« Les agents dans une chaîne d’exécution et qui agissent sur ordre de mission ou fiche de poste, ne seront pas redevables de ce nouveau champ de responsabilité », précise José Morales.
« Toute personne qui dans une chaine de décision est investie d’un pouvoir d’autorité sera redevable de ce régime de responsabilité, ce qui veut dire un périmètre très large », ajoute l’agent comptable de l'Université Paris Cité.
5. Quels changements dans les établissements du supérieur ?
Certains ordonnateurs secondaires auraient-ils peur d’accepter des postes par peur que leur responsabilité financière soit engagée ? En clair, cette réforme risque-t-elle d’entraîner une crise des vocations, comme évoqué sur Twitter par la professeure d’université Hélène Péroz en juin dernier ?
Pour José Morales, le maitre-mot est la pédagogie. « Il y a une appréhension des conséquences potentielles de la réforme, et il nous appartient dans la sphère administrative d’aller expliquer le sens de cette réforme et rappeler que la mise en jeu de la responsabilité sera réservée pour les fautes graves, ce qui exclut les fautes de gestion, le fait de s’être trompé, un oubli… », détaille l’agent comptable de l'Université Paris Cité.
Je ne crois pas à une crise des vocations
Frédéric Dehan, directeur général des services à l'Université Paris-Est Créteil et président de l’association des DGS (ADGS) abonde : « Pour faire face à la prévention des doyens, quelles que soient les disciplines, cela passe par de la pédagogie et de l’explication du niveau de responsabilité, de la nature et du périmètre de la faute. Ce sont des sujets auparavant considérés comme très techniques qui intéressaient très peu de monde, qu’il va falloir mettre sur la table. Mais de là à voir des personnes refuser la prise de responsabilités en tant que doyen, non. Je ne crois pas à une crise des vocations. »
6. Quelles sont les zones d’ombre ?
L’ordonnance sur la responsabilité des gestionnaires publics concernera seulement les fautes graves ayant causé un préjudice financier significatif à l’établissement. Une notion sujette à interprétation…
« La gradation de la faute est un vrai sujet. Quelle va être la jurisprudence, qu’est-ce qu’on qualifie de faute grave, assortie d’un préjudice financier significatif ? Cela veut dire quoi à l’aune des budgets que l’on gère et qui vont de 300 à plus de 800 millions d’euros ? », s’interroge Frédéric Dehan.
« Il y a une marge de manœuvre conséquente pour le juge financier dans l’interprétation. La jurisprudence des quatre ou cinq prochaines années va venir éclairer ce que fera le juge de ce texte, s’il aura une vision plus large ou très restrictive dans l’analyse des différents faits générateurs », complète José Morales.
7. Qui jugera les infractions ?
La chambre du contentieux de la Cour des comptes examinera les infractions en première instance. Cette chambre se compose de membres de la Cour des comptes et de magistrats des chambres régionales et territoriales des comptes.
Sera créée une Cour d’appel financière, présidée Pierre Moscovici, le premier président de la Cour des comptes. Enfin, le Conseil d’État demeurera la juridiction de cassation.
8. Quelles seront les sanctions ?
Des amendes pourront être infligées en cas d’infractions. Elles seront plafonnées à six mois de rémunération ou un mois pour les infractions formelles.
« Les amendes sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l’éventuelle réitération de pratiques prohibées et le cas échéant à l’importance du préjudice causé à l’organisme. Elles sont déterminées individuellement pour chaque personne sanctionnée », précise l’ordonnance du 23 mars.