Numérique

L’open source se fait une place parmi les outils de visioconférence utilisés par les établissements

Par Isabelle Cormaty | Le | Équipements et systèmes d'informations

Adoptés en masse depuis la crise sanitaire de 2020 pour assurer la continuité pédagogique des enseignements, les outils de visioconférence se sont implantés durablement dans les établissements en lien avec le télétravail. Des augmentations de tarifs chez les outils américains poussent certaines DSI à se tourner vers des outils open source, comme BigBlueButton, mis à disposition gratuitement par le ministère aux établissements publics.

Le ministère propose depuis mars 2023 la suite de visioconférence BBB aux établissements publics. - © Canva
Le ministère propose depuis mars 2023 la suite de visioconférence BBB aux établissements publics. - © Canva

Session de travail entre des établissements partenaires, réunion de service ou encore point entre un enseignant et des étudiants sur un projet… Le recours à la visioconférence ou au format hybride est désormais devenu la norme dans l’ESR, après un passage à marche forcée dans la plupart des établissements durant la crise sanitaire.

Si les outils américains (Zoom et Teams) sont utilisés par une grande majorité des institutions de l’ESR, d’autres sont également présentés comme Jitsi-Meet, ou encore BigBlueButton (BBB). 27 établissements utilisent ce dernier outil proposé gratuitement par le ministère via France université numérique (FUN), et ce malgré de nombreuses critiques lors de son lancement au printemps 2023.

BBB, un outil critiqué à son lancement

Revenons en mai 2021. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) met en garde les établissements de l’ESR face au risque de « transferts de données personnelles vers les États-Unis dans le cadre de l’utilisation des suites collaboratives pour l’éducation ». Un avis qui pousse le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche à réfléchir à des outils souverains pour les institutions de l’ESR.

C’est chose faite fin mars 2023, avec la mise à disposition pour les établissements publics sous tutelle du ministère de quatre plateformes numériques open source et souveraines, gérées par le groupement d’intérêt public FUN. BigBlueButton, la solution de classe virtuelle est partagée également par la direction du numérique pour l’éducation du ministère de l’éducation nationale.

« C’est un choix logique de maîtrise des coûts et de la résilience de la solution », expliquait la directrice générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle de l’époque Anne-Sophie Barthez à Campus Matin.

Des réticences au démarrage, levées par les retours d’usage

Ollivier Haemmerlé dirige France Université Numérique depuis octobre 2023. - © D.R.
Ollivier Haemmerlé dirige France Université Numérique depuis octobre 2023. - © D.R.

Lors de sa présentation aux établissements il y a un an, BBB est accueillie fraîchement par les gouvernances : peur que la plateforme ne tienne pas la charge, de sa moindre qualité par rapport à ses concurrents américains, que les financements du ministère ne soient pas pérennes dans le temps…

Pourtant, 27 établissements ont depuis adopté l’outil, d’après les chiffres présentés par le directeur de FUN, Ollivier Haemmerlé, lors des assises du Csiesr en mai dernier. Et d’autres universités se questionnent, testent l’outil en interne dans leur direction des systèmes d’information, voire préparent leur migration vers BBB. En cause : des augmentations de tarif de l’entreprise américaine Zoom de l’ordre de 15 à 20 %, d’après certains établissements.

Des usages démultipliés et non des augmentations de tarif pour Zoom

Charlotte Nizieux est porte-parole de Zoom France. - © STUDIO CABRELLI
Charlotte Nizieux est porte-parole de Zoom France. - © STUDIO CABRELLI

Sollicitée, la branche française de Zoom conteste ces augmentations et précise que sa suite « Zoom meeting éducation » coûte 74 € par an et par utilisateur depuis février 2022 contre 84 € avant. Et elle pointe l’appétit des établissements pour des outils aux fonctionnalités plus étoffées.

« Nous constations que nos clients de l’ESR veulent aller plus loin que le simple usage de la visioconférence jusqu’à avoir des enseignements hybrides et un e-campus. Les établissements peuvent rajouter à leurs licences de base différentes briques comme les webinaires, les zoom room… », indique Charlotte Nizieux, la porte-parole de Zoom France.

Une acculturation nécessaire aux nouveaux outils

Judit Vari est VP transformations pédagogiques et numériques de l’Université de Rouen Normandie. - © D.R.
Judit Vari est VP transformations pédagogiques et numériques de l’Université de Rouen Normandie. - © D.R.

L’Université de Rouen Normandie n’a elle pas opté pour un usage massif de Zoom durant la pandémie et se félicite aujourd’hui de cette décision.

« Il s’agissait dans la mesure du possible de favoriser les logiciels open source, plutôt que ceux privés, quand il existe une solution de qualité équivalente. Nous avions donc privilégié BBB tout en ayant quelques licences Zoom à côté pour les formations avec d’importantes cohortes d’étudiants comme en santé ou en psycho », retrace Judit Vari, vice-présidente transformations pédagogiques et numériques et stratégie des systèmes d’information de l’établissement.

L’université rouennaise ne s’est donc pas associées à d’autres établissements effectuant des achats groupés de licence Zoom. À Avignon Université, le choix de BBB s’est fait pour des raisons budgétaires notamment.

« Au moment de la pandémie, nous avons perçu tout de suite le danger des plateformes gratuites. En choisir une était prendre le risque de ne pas pouvoir assumer son coût une fois devenue payante et de demander aux étudiants et enseignants de changer d’outil », explique Thierry Spriet, vice-président délégué au numérique de l’établissement.

« Nous utilisions BBB de façon anecdotique en 2019, puis nous l’avons fait monter en puissance en 2020 pour pouvoir promouvoir la plateforme à tous. Le service d’appui à la pédagogie a rédigé des tutos pour que tout le monde puisse la prendre en main », poursuit-il.

Avignon Université a depuis basculé sur la plateforme BBB proposée par le ministère via FUN. « Nous avions anticipé le fait que les plateformes allaient finir par être au plein tarif, c’est un coût non négligeable pour un établissement de notre taille », poursuit Thierry Spriet.

L’importance de la conduite du changement

Thierry Spriet est vice-président délégué au numérique d’Avignon Université. - © D.R.
Thierry Spriet est vice-président délégué au numérique d’Avignon Université. - © D.R.

À Rouen comme à Avignon, les vice-présidents numérique assurent que la suite de visioconférence BBB s’est améliorée depuis 2020 et propose une qualité de service équivalente à ses concurrents.

« La vraie difficulté, c’est la perception de qualité qu’en ont les usagers. Quand il y a une complication, c’est souvent un problème d’ordinateur, de connexion ou de personne et non un problème d’outil », illustre le VP délégué au numérique d’Avignon Université.

Judit Vari complète : « BBB tient facilement la charge jusqu’à 500 étudiants. Il nous reste encore quelques licences Zoom, qui sont surtout utilisées de manière exceptionnelle lors des colloques avec beaucoup de collègues étrangers par exemple. Nous avons expliqué notre politique de logiciel libre donc les personnels et enseignants se sont progressivement habitués à BBB et nous ont moins demandé à utiliser Zoom. »

Des augmentations chez d’autres fournisseurs de logiciels

Au-delà des logiciels de visioconférence et des plateformes collaboratives, les DSI du supérieur craignent aussi de l’augmentation des tarifs d’autres outils américains, dans un contexte où les budgets des établissements sont très contraints. L’outil de virtualisation WMware, très utilisé dans l’ESR, a par exemple multiplié ses tarifs par sept en moyenne, auprès des établissements français.

« On sent bien que les établissements n’en ont pas terminé avec les augmentations, ce qui est inquiétant », souffle un vice-président numérique qui préfère rester anonyme. Une tendance qui pousse donc certaines écoles et universités à étudier voire se tourner vers des alternatives open source.