Numérique

Vers un même outil de visioconférence pour les établissements publics du supérieur ?

Par Isabelle Cormaty | Le | Équipements et systèmes d'informations

Depuis fin mars, le ministère de l’enseignement supérieur met à disposition gratuitement des établissements quatre plateformes numériques open source et souveraines. Y figure notamment une solution de classe virtuelle, alternative à Zoom ou Teams. Quels sont ces outils ? Les écoles et universités vont-elles s’en saisir ?

4,2 millions d’euros ont été utilisés pour financer ces plateformes.  - © LinkedIn Sales Solutions (Unsplash)
4,2 millions d’euros ont été utilisés pour financer ces plateformes. - © LinkedIn Sales Solutions (Unsplash)

L’outil de classe virtuelle BigBlueButton, Esup-Pod, une solution de tableaux de bord pédagogiques et un espace collaboratif d’examen à distance. Telles sont les quatre plateformes numériques open source et « souveraines » mises à disposition gratuitement par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR) aux établissements publics du sup’ et présentées aux présidents d’université dans un courrier daté du 5 avril dernier. 

Pourquoi le ministère finance-t-il ces plateformes ?

Anne-Sophie Barthez est directrice générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle au MESR. - © D.R.
Anne-Sophie Barthez est directrice générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle au MESR. - © D.R.

Ce projet découle de la crise sanitaire et des recommandations de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) sur la nécessité de disposer d’outils souverains dans l’ESR (voir encadré). Il s’inscrit dans la stratégie numérique du ministère de l’enseignement supérieur, actuellement en cours d’élaboration. 

« Le point de départ de cette idée de plateforme numérique pour l’enseignement supérieur remonte à l’automne 2020, avec la crise Covid et l’absence de solutions de classe virtuelle souveraine. Nous avons été confrontés à cette difficulté, face à des établissements et des enseignants qui ne disposaient pas de solution numérique suffisamment souveraine et robuste pour pouvoir être utilisés », retrace Anne-Sophie Barthez, directrice générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle à News Tank (abonnés).

« Nous sommes partis du terrain et d’une enquête lancée par les vice-présidents numériques et les directeurs des systèmes d’information (DSI) auprès des établissements sur leurs fragilités et leurs besoins. Elle avait été renseignée par 58 universités », indique Anne-Sophie Barthez.

Une mise en garde de la Cnil en 2021 sur « le risque d’accès illégal aux données »

Dans un avis publié le 27 mai 2021, la Cnil constatait « dans certains cas, des transferts de données personnelles vers les États-Unis dans le cadre de l’utilisation des suites collaboratives pour l’éducation. Le recours à ces solutions met en lumière des problématiques de plus en plus prégnantes relatives au contrôle des flux de données au niveau international, à l’accès aux données par les autorités de pays tiers, mais aussi à l’autonomie et la souveraineté numérique de l’Union européenne. »

En pleine crise sanitaire, la Cnil proposait alors aux établissements de leur apporter « toute l’aide nécessaire afin de leur permettre d’identifier des alternatives possibles » aux outils nords-américains comme Zoom ou Teams.

Des plateformes gérées par le GIP Fun

Le ministère s’appuie sur le groupement d’intérêt public France université numérique (Gip Fun) pour gérer les plateformes proposées. Participent aussi au comité de pilotage de ce projet : la Dgesip, la Conférence des grandes écoles, l’association des VP numériques, l’association des directeurs des SI, France Universités, Esup Portail, l’Anstia et le GIP Fun. 

Quelles sont les plateformes numériques mises à disposition ? 

Opérée par la direction du numérique pour l’éducation du ministère de l’éducation nationale, la solution de classe virtuelle BigBlueButton (BBB) est un outil commun avec le ministère de l’enseignement supérieur. « C’est un choix logique de maîtrise des coûts et de la résilience de la solution », précise Anne-Sophie Barthez.

Les autres plateformes proposées sont : 

  • une solution de webinaire qui combine le logiciel open source Jitsi avec un outil de vidéo à la demande développé par Fun ;
  • Esup-Pod pour les vidéos à la demande, elle est utilisée par une cinquantaine d’établissements. « C’est une solution libre, accessible à tous, que les établissements connaissent. L’Université de Lille est leader et coordonne cette branche. »
  • un espace collaboratif d’examen à distance accessible sur la plateforme Moodle d’ici l’été 2023 ;
  • et une solution de tableaux de bord pédagogiques qui « donne des outils aux enseignants pour mieux faire réussir les étudiants ».

Conçue par Avignon Université, cette solution permet d’après la Dgesip « d’accompagner chaque étudiant dans son apprentissage et qu’il se positionne par rapport aux camarades et à l’enseignant. Elle fournit à l’enseignant des indicateurs qui permettent de mieux vérifier que sa pédagogie est efficace. Elle permet d’être alerté, très rapidement, d’un étudiant qui décroche, pour l’accompagner au plus près et au plus vite. »

Quelles consignes pour les établissements ? 

Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a consacré 4,2 millions d’euros dans le cadre du Plan de relance et de résilience au développement de ces plateformes, financées jusqu’en 2023, si les écoles et universités se saisissent des outils. Un élément qui suscite des inquiétudes sur la pérennité des financements chez certains. 

Tous les établissements du supérieur publics qui relèvent du MESR pourront bénéficier de ces plateformes. Libre ensuite aux gouvernances de s’en saisir ou non, en cohérence avec leur stratégie numérique. Contrairement à l’éducation nationale, le ministère de l’enseignement supérieur n’a donc pas donné de directives pour « obliger » les institutions à adopter les outils financés. 

Une montée en charge qui inquiète

Un point d’ombre demeure : « Si tous les établissements basculent sur ces plateformes, les infrastructures vont-elles tenir ? Les tests de montée en charge ont-ils été réalisés ? », pointe un DSI qui préfère rester anonyme.

Sur le papier, le ministère se veut rassurant. « Les plateformes sont opérationnelles et nous avons la capacité de monter en charge », affirme Anne-Sophie Barthez sans pour autant convaincre la plupart des responsables numériques de l’ESR.

Sylvain Chatry est vice-président stratégie numérique de l’Université de Perpignan Via Domitia. - © D.R.
Sylvain Chatry est vice-président stratégie numérique de l’Université de Perpignan Via Domitia. - © D.R.

À cela s’ajoutent des réserves sur les fonctionnalités proposées par BBB, comme l’explique Sylvain Chatry, vice-président stratégie numérique de l'Université de Perpignan Via Domitia qui compte moins de 10 000 étudiants. 

« Nous sommes une petite université : pour des raisons budgétaires, il nous est difficile de soutenir financièrement l’accumulation de solutions privées. Tout ce qui peut être financé par le ministère est le bienvenu, encore faut-il que les fonctionnalités proposées correspondent à celles des autres outils. L’intérêt des universités est d’aller vers des solutions open source et sécurisées. Nous ne sommes pas contre le changement, mais il faut être convaincu de la plus-value avant de basculer », témoigne-t-il. 

Son établissement utilise actuellement l’outil de visioconférence Zoom. « Nous avions testé BBB en 2020 et avions constaté un délai de latence qui peut créer des difficultés d’échanges, même durant une petite réunion, car les personnes ont l’impression de se couper la parole. La montée en charge était compliquée, là où Zoom maintient une qualité de connexion durant toute la réunion », ajoute-t-il. 

Des habitudes à changer

Après deux années de crise sanitaire et une opposition parfois vive d’une partie des personnels et enseignants-chercheurs contre les outils numériques, les établissements vont-ils demander à leur communauté d’utiliser de nouvelles plateformes ? 

« Des habitudes ont été prises avec les outils américains, reconnaît la directrice générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle. À nous de rappeler l’importance de l’open source et de la souveraineté. Ces outils ont été construits avec les VP numériques et les DSI qui portent la politique numérique dans les établissements. Cela n’empêchera pas les enseignants de se servir d’un autre outil, mais pour la première fois, les établissements sont prêts à se positionner sur le sujet. Ces outils ont été très bien accueillis. »

« Le comité de pilotage réuni une fois par mois pourra dresser assez rapidement un bilan de l’utilisation de ces outils », précise Anne-Sophie Barthez.