Sobriété numérique : 10 000 tonnes équivalent CO2 par an évitables dans les universités ?
Par Isabelle Cormaty | Le | Équipements et systèmes d'informations
La coopérative de développement web Noesya a publié en janvier une étude qui pointe l’impact carbone des sites web des universités françaises. Selon elle, il serait possible de rendre ces sites plus sobres et accessibles aux personnes en situation de handicap en utilisant la solution open source, Osuny, conçue par une équipe de développeurs après une prise de conscience des enjeux écologiques et une bifurcation professionnelle.
Diviser par 25 l’impact carbone des universités françaises, une utopie ? Pas pour la coopérative de développement web Noesya qui a publié le 24 janvier dernier une étude sur le potentiel de décarbonation des sites web des universités françaises.
Elle estime qu’il serait possible d’éviter « 10000 tonnes équivalent CO2 par an. Pour donner un ordre de grandeur sur les gains possibles, ils correspondraient à 96 % de l’impact actuel » en utilisant la solution Osuny, conçue par la coopérative.
Le potentiel de décarbonation des sites web des universités
Alors que le numérique représente presque 4 % de l’empreinte carbone des êtres humains, l’étude met en lumière l’impact environnemental des sites internet des établissements du supérieur et leur manque d’accessibilité.
« Sur l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur, quasiment aucun site web n’est facilement navigable pour des personnes en situation de handicap. Trop d’établissements ne respectent pas les obligations légales d’audit d’accessibilité. Les sites web sont vus comme des outils de communication dans une concurrence entre établissements, ce sont des sites lourds. Cela crée donc une deuxième forme d’exclusion pour les personnes qui vivent dans des zones avec peu de réseau », pointe Arnaud Levy, cofondateur de Noesya et maître de conférences en design et technologie de l’information à l’IUT Bordeaux Montaigne.
Quelle est la méthode de l’étude ?
Pour calculer l’impact carbone des sites des établissements du supérieur, Noesya a utilisé son outil de diagnostic écologique et s’est concentrée sur deux pages web : la page d’accueil et celle des mentions légales.
La coopérative précise dans sa méthode que les chiffres présentent des incertitudes détaillées pour chaque établissement étudié. « Toutefois, la réalité est probablement au-dessus de ces chiffres, car nous mesurons seulement le site principal de chaque université. » Les établissements disposent en effet pour la plupart de plusieurs sites internet pour leurs composantes, leurs laboratoires ou leurs bibliothèques universitaires.
Pour chacune des universités françaises, Noesya présente leur impact carbone annuel et celui évitable, qui correspond à la différence entre l’impact actuel et l’impact possible si le site était développé avec la solution Osuny.
Qui sont les bons et les mauvais élèves ?
« Avec des sites dont l’impact carbone va de 0,2 à 750 tonnes équivalent C02 par an, la réalité est très contrastée », précise Noesya. Avec 749,8 tonnes équivalent CO2 (t eq CO2) estimées par an, le site internet de l’Université Côte d’Azur serait le plus polluant, d’après la coopérative de développement web. Viennent ensuite celui de l’Université Toulouse 3 Paul Sabatier (617 t eq CO2) puis celui de l’Université Paris Cité (542,4).
des marges de progrès très importantes existent pour tous les sites sans exception
À l’inverse, l’impact carbone annuel des sites web de certains établissements est inférieur à 3 tonnes équivalent CO2. C’est le cas notamment du Centre universitaire de Mayotte (0,2 t eq CO2), de l’Institut national universitaire Champollion (1,2) et de La Rochelle Université (2,9). Mais « des marges de progrès très importantes existent pour tous les sites sans exception », assure la coopérative.
Le numérique, un impensé dans l’ESR ?
Invitée de Think Éducation & Recherche le 26 janvier dernier, la dirigeante du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), Élisabeth Claverie de Saint-Martin insistait sur la « prise de conscience à faire » concernant le numérique.
« Nous consommons énormément de datas. Sur tout le reste, la communauté des chercheurs a été très dynamique, et nous leur devons l’essentiel de ce que nous avons dans nos plans ; mais réguler le stockage des données et la circulation sur le réseau, nous sommes un peu dans le mur. Certes ce n’est que 4 % des émissions, mais c’est ce qui croit le plus vite, et nous avons gros travail de pédagogie à faire devant nous », déclarait-elle.
Osuny, une plateforme open source pour les établissements
Le projet de Noesya résulte d’une bifurcation professionnelle pour les cofondateurs de la coopérative, Arnaud Levy et Pierre-André Boissinot. Créée en 2003, leur première agence web est rachetée par l’entreprise Les Poupées russes qui « travaille principalement dans le secteur du luxe pour des clients comme LVMH ou Shiseido », raconte Arnaud Levy.
Après le rachat des Poupées russes en 2019, « on s’est dit qu’il était temps de passer à autre chose et de se tourner vers une activité plus éthique », poursuit le directeur des études du département métiers du multimédia et de l’internet à l’IUT Bordeaux Montaigne.
Noesya voit alors le jour en septembre 2021, sous forme de coopérative, une société qui appartient à ses membres. Ses fondateurs travaillent notamment avec des designers, des développeurs et des chercheurs spécialisés dans le numérique d’intérêt général, en lien étroit avec le laboratoire Médiations, informations, communication, arts de l’Université Bordeaux Montaigne, dont est membre Arnaud Levy.
Premier chantier, réalisé par la coopérative sur fonds propre : les sites web écoconçus. En 2022, elle refait pro bono le site de l’IUT Bordeaux Montaigne. « Il est désormais conforme au Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité conçu par l’État, avec des pages très légères, une chaîne d’hébergement relativement résiliente, sans aucune dépendance étasunienne et avec une empreinte écologique très faible », se félicite Arnaud Levy.
Noesya propose désormais Osuny, une solution open source de refonte des sites web prenant en compte les enjeux environnementaux et d’accessibilité. Comme recommandé par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), la coopérative conçoit des sites précompilés, c’est-à-dire qu’il n’y a ni langage serveur, ni base de données, mais un ensemble de fichiers à héberger. « Cela diminue les besoins en hébergement et les risques cyber », précise le cofondateur de Noesya.
Un déploiement encore très limité de la solution
Si Osuny est un logiciel libre et gratuit, la coopérative Noesya à l’origine de la plateforme répond à des appels à projets et propose ses services pour réaliser des sites web écoconçus. « Nous essayons de monter un réseau d’acteurs qui puissent utiliser l’outil en open source », expose Arnaud Levy qui a écrit à l’ensemble des présidents d’université pour les informer que la solution Osuny était déployable dans leurs établissements.
« Nous présentons autant que possible notre solution pour montrer aux directions de la communication que l’outil ne va pas les limiter. Au-delà de Bordeaux-Montaigne, seule Nantes Université nous a interrogés pour nous intégrer dans son plan 2023-2028 », ajoute-t-il.
Vers un commun numérique pour les universités ?
Outre la création de sites web écoconçus, noesya a pour ambition de construire avec les universités françaises un commun numérique, c’est-à-dire un « ensemble de ressources, de règles et d’outils partagés et gouvernés par une communauté, comme Wikipédia ».
« Notre objectif est de créer une société coopérative d’intérêt collectif, dont les universités soient parties prenantes afin qu’elles hébergent leurs sites web, mais que leurs backoffices soient mutualisés, explique Arnaud Levy. Concrètement, si un établissement a 20 sites web sur Wordpress, il dispose aussi de 20 serveurs. Il s’agit d’un système avec de nombreuses machines qui ne servent pas une bonne partie de l’année, car il n’y a pas de charge. Nous proposons un ensemble de serveurs capables de grandir seuls en cas de charge. »