Comment les équipements de réalité virtuelle sont-ils utilisés ?
Par Marine Dessaux | Le | Équipements et systèmes d'informations
Innovation technologique remise sur le devant de la scène avec le métaverse, la réalité virtuelle se fait une place dans l’enseignement supérieur depuis les années 2010. Au-delà des effets d’annonce, comment les équipements sont-ils utilisés ? Cette technologie permet-elle un passage à l’échelle pour une intégration dans la pédagogie ?
Plusieurs grandes écoles ont fait part de leurs investissements et dévoilé leur stratégie pour utiliser la réalité virtuelle dans les enseignements. Néanmoins, le matériel étant onéreux, la plupart des campus ne bénéficient que de quelques casques, ce qui complexifie la formation d’étudiants en nombre. Trois écoles reviennent sur les avantages et limites de leur expérience.
Une adoption relativement récente
Dès 2014, l’Institut Mines-Télécom (IMT) lance un groupe de travail sur la réalité augmentée et virtuelle pour une innovation pédagogique (Ravie). L’objectif est d’identifier les cas d’usage de la réalité virtuelle (VR), de créer des contenus pédagogiques immersifs (360° ou 3D) et de mutualiser les expériences. Le groupe est composé de conseillers pédagogiques, d’enseignants-chercheurs et de documentalistes.
Les écoles de l’IMT ont procédé par étapes pour intégrer la VR : d’abord en se concentrant sur l’apport en soft skills, avec des casques Occulus, « plus simples à gérer à l’époque », précise Laura Luche, chargée de mission en appui aux transformations éducatives de l’IMT. Cinq à sept casques par campus d’abord ont été financés par la direction générale.
Aujourd’hui, chaque école peut compter sur une quinzaine de casques accompagnés de leur kit de nettoyage et d’une caméra 360°. Les expériences vont de la simple visite de lieu à des escape games interactifs. C’est plus de 2 000 étudiants chaque année qui sont sensibilisés ou formés via la VR.
« C’est en 2015 que nous avons créé notre première étude de cas en réalité virtuelle, il s’agit de la première réalisation par une école de commerce en France. Cela existait déjà en écoles d’ingénieurs », rapporte Alain Goudey, directeur général adjoint de Neoma. Cette technologie est ancrée dans la stratégie de l’école qui généralise son utilisation dans plusieurs enseignements. 4 500 étudiants, tous programmes confondus, réalisent chaque année l’un des quatre cas pratiques concoctés en interne.
De son côté, l’EM Normandie rejoint le mouvement plus tardivement, avec l’achat de cinq casques il y a trois ans suivis d’une trentaine l’an passé. Sur chaque campus, trois à six de ces équipements circulent au sein de caissons construits sur mesure.
En deux ans, environ 2 000 étudiants de 1ère, 2e et 4e année sont amenés à l’utiliser dans le cadre des cours, explique Olivier Lamirault, directeur de l’innovation et des technologies éducation de l’école. Ils sont également incités à tester les casques lors de la pré-rentrée en s’essayant notamment à un jeu imaginé en interne pour mettre en application des savoirs logistiques… tout en contrant une attaque de zombie !
Mettre en place une expérience étudiante immersive
« La réalité virtuelle est une rupture technologique : elle modifie notre environnement », estime Alain Goudey, spécialiste de la transformation numérique. Elle permet de mettre en place une « pédagogie expérientielle, qui fait réfléchir en action », ajoute-t-il.
Autre avantage, lorsqu’elle implique un scénario où l’étudiant est représenté par un avatar, la réalité virtuelle procure un « effet Protheus » : « On observe de meilleurs résultats dans l’apprentissage en en se mettant dans la peau d’un entrepreneur par exemple, quand on voit son personnage l’immersion est plus forte », approfondit Alain Goudey.
Pour Virginie Hachard, directrice pédagogique d’EM Normandie, grâce à la réalité virtuelle : « L’expérience étudiante est augmentée : elle rend les utilisateurs acteurs de leur apprentissage. »
Être sensibilisé à cette technologie est par ailleurs un atout pour l’insertion professionnelle, souligne-t-elle, alors qu’elle commence à se répandre en entreprise, dans l’univers du luxe notamment. « Les étudiants peuvent s’exercer à la prise de parole en public », cite également Olivier Lamirault. L’école propose par ailleurs une visite VR de son campus aux futurs élèves internationaux.
Au-delà de l’usage pédagogique, fin 2020 et pendant l’année 2021, un groupe de travail sur les violences sexuelles et sexistes de l’IMT a planché sur un projet de sensibilisation sur le consentement. L’occasion aussi d’impliquer les étudiants : un script a été écrit avec eux et le film tourné sur le campus de Mines Saint-Étienne avec des élèves ingénieurs comme figurants. Il a été déployé dès la rentrée suivante dans chaque école.
« Les enseignants et personnels pédagogiques sont formés régulièrement à l’usage de ces outils », précise Laura Luche.
Qui développe ?
L’IMT utilise des produits sur étagère réalisés par Reverto pour la formation du personnel et des étudiants aux premiers secours, pour sensibiliser au handicap invisible et contre le harcèlement. Au cours des deux dernières années, le groupe d’écoles s’est tourné vers Bodyswap qui propose une expérience en entreprise dans le corps d’une autre personne, sorte d’entraînement à l’entretien d’embauche.
Des programmes sont par ailleurs développés en interne en 360° : des visites virtuelles de fablabs, de Veolia… « Des étudiants s’en servent même pour créer leur propre contenu », rapporte Laura Luche.
Travailler avec des professionnels
Les études de cas de Neoma sont également en 360° et réalisées entièrement en interne en partenariat avec des entreprises. « Nous ne voulons pas faire de cas qui ne soit pas réaliste, c’est pourquoi nous travaillons avec des professionnels », intervient Alain Goudey. Le drive Leclerc qui a ouvert ses portes et mobilisé des salariés pour la réalisation des vidéos (cf. encadré) y trouve également un intérêt : le contenu immersif est utilisé lors du recrutement pour faire connaître son fonctionnement.
« En France, les études de cas en VR sont promues par la Centrale des cas et de médias pédagogiques, les nôtres s’y trouvent et peuvent être achetés par n’importe quel établissement », informe Alain Goudey.
À l’EM Normandie, une dizaine d’enseignants travaillent sur la réalisation du scénario en symbiose avec l’équipe des technologies éducatives. « Nous travaillons le fond, la rédaction des scénarii, l’amorce du game design (jeux sérieux) avant de transmettre à un prestataire qui développe le code de l’application immersive », dit Olivier Lamirault.
À combien s’élève ce genre de prestation ? « Le coût de production d’un contenu est très variable. Je dirais à partir de 20 000 euros pour une séquence de 30 minutes engageante et interactive. Mais cela peut être beaucoup plus élevé. Il existe encore aujourd’hui très peu de contenus sur étagères. Nous sommes en train de travailler cette piste avec une entreprise qui regroupe plusieurs éditeurs », évalue Olivier Lamirault.
Une problématique de mise à l’échelle à contourner
Les prix des casques de réalité virtuelle « actifs » — avec un écran intégré — commencent à 300 € pour s’envoler jusqu’à plus de 1000 €. Le budget devient rapidement conséquent lorsqu’il s’agit d’en fournir à une classe d’une trentaine d’élèves. « L’intégration des contenus pour former des étudiants en nombre est un défi. Cela demande une adaptation du modèle pédagogique pour les cours utilisant l’immersif », indique Olivier Lamirault.
Cette problématique de passage à l’échelle, Alain Goudey a tout de suite décidé de la contourner. « Il fallait innover pour 10 000 étudiants, c’est pourquoi nous avons fait le choix de ne pas prendre de casques actifs, mais passifs », raconte-t-il. Des casques peu coûteux qui consistent en une coque en plastique dans laquelle est inséré un smartphone.
« De nouveaux casques sortent tous les ans ! Nous préférons nous appuyer sur une technologie que possèdent les étudiants : leur smartphone. Quelques modèles sont mis à disposition en cas d’écran cassé ou pour ceux qui n’en auraient pas », détaille Alain Goudey.
Ainsi, toute une classe peut travailler sur un même cas en téléchargeant l’application de Neoma. Ils visionnent ensuite une vidéo à 360°, contrairement aux autres casques qui proposent un environnement en 3D. « La plus-value de l’immersion en 3D est faible », estime-t-il. Olivier Lamirault ne partage pas le même point de vue : « La réalité virtuelle c’est une immersion 3D. Si on a une vision à plat on n’est pas dans de l’immersif. »
Avec moins de casques, l’EM Normandie et l’IMT favorisent une utilisation pédagogique via des séquences courtes, de façon à faire tourner plusieurs groupes d’étudiants. Dans ce cadre, l’équipement n’est néanmoins pas utilisé autant qu’il le pourrait, c’est pourquoi l’EM Normandie le laisse à disposition dans une salle accessible aux associations et que l’IMT les prête aux élèves et étudie la possibilité de les mettre à disposition via les learning centers.
Les autres freins
D’autres limites sont à prendre en compte dans l’usage de la VR pour la pédagogie. À commencer par une durée de vie limitée des équipements et contenus. Même s’il lui semble compliqué de donner un chiffre définitif, Olivier Lamirault estime qu’un casque dure « à priori au moins cinq ans sauf en cas de rupture technologique forte, ce qui se produit pour ce type de technologies lorsqu’elles commencent à se diffuser largement ».
Une problématique qui n’est pas restreinte à la réalité virtuelle, relativise Alain Goudey : « Tout ce qui est dans l’image se périme. » Laura Luche tempère également : « Les casques Occulus ont encore quelques années devant eux. Même si des nouveautés sortent, ils suffisent amplement pour notre usage. »
Le directeur général adjoint de Neoma met également en garde : « La VR ne doit pas devenir un simple jeu, nous mesurons la valeur pédagogique de nos contenus avec les enseignants et les étudiants pour éviter cela. »
La barrière peut s’avérer physique : certaines personnes sont sujettes à des nausées ou des maux de tête après un usage prolongé. Des effets négatifs que les écoles observent cependant rarement : « Les étudiants ne sont pas malades, car il y a peu de déplacements dans les études de cas, contrairement aux immersions en grand huit par exemple », remarque Alain Goudey.
L’inclusion n’est néanmoins pas encore optimale : les personnes épileptiques, ayant souffert d’un AVC, toute forme de trauma crânien et les femmes enceintes sont interdites de casques et réalisent alors les exercices sur écran… lorsque le contenu le permet.
Enfin, Laura Luche pointe la barrière de la langue : « Beaucoup de contenus sont disponibles en anglais, notamment ceux construits avec ChatGPT. »
Quels usages les établissements envisagent-ils désormais ?
L’avenir de la VR est intimement lié au métaverse, même si la tendance a pris du plomb dans l’aile — en témoigne l’annonce du groupe Meta qui se centre désormais ses investissements sur l’intelligence artificielle.
« Dans l’avenir nous irons vers le métaverse, notamment avec les classes virtuelles où les étudiants sont représentés par des avatars, dit Laura Luche. Nos prochains investissements s’orienteront eux vers la réalité augmentée. »
L’EM Normandie s’est déjà dotée d’un casque à réalité augmentée, qui permet d’intégrer des éléments en 3D dans un environnement réel. Elle permet entre autres une expérience de visioconférence plus immersive. Cette technologie n’est cependant pas encore aussi aboutie que la réalité virtuelle.
Des scénarii plus complexes et interactifs
Neoma se dirige, elle, vers « des scénarii plus complexes et interactifs », s’éloignant de premières études de cas descriptives. Pour la suite, l’école veut approfondir encore la dimension pédagogique de l’usage de la réalité virtuelle et poursuivre le développement de contenus avec des enseignants, qui sortent actuellement à un rythme d’une fois tous les 18 mois.
Pour les enseignants, augmenter l’engagement
Aurélien Rouquet, enseignant de logistique et supply chain management à Neoma, nous ouvre les portes de d’un cours où il utilise la réalité virtuelle. Les étudiants, en cinquième année de MBA, visitent virtuellement un drive Leclerc, pour une étude de cas qu’il a construite.
Accompagné par la cellule d’aide pédagogique, il a écrit le scénario et le texte de chaque employé s’exprimant dans la vidéo et se rend sur place pour filmer. Il réalise ensuite une première version du matériel pédagogique accompagnant le contenu en 360° et l’adapte en fonction du retour des élèves.
« C’est un contenu qui peut convenir à tous les niveaux c’est l’usage pédagogique de l’enseignant qui change : je demande un niveau d’analyse de plus en plus approfondi », explique-t-il.
Il voit un intérêt majeur à cette technologie : engager les étudiant en les détournant de leur téléphone ! « On ne perds pas de temps du tout à expliquer le fonctionnement de l’équipement, ajoute-t-il. Autre point intéressant, je peux savoir qui a regardé et envoyer un mail à ce qui ne l’ont pas fait en les avertissant ‘Big brother is watching you !’. »