Ces établissements et acteurs du sup’ se sont lancés sur Twitch, ils racontent
Par Isabelle Cormaty | Le | Pédagogie
Depuis le premier confinement, l’audience de Twitch a explosé en France. La plateforme de diffusion de vidéos en direct, très prisée des jeunes, connaît une diversification de ses programmes. Dans le sillage des personnalités politiques et des médias, les établissements et acteurs de l’enseignement supérieur se lancent eux aussi sur le réseau, pour organiser des événements ou diffuser leurs cours ! Focus sur trois initiatives.
Qu’elle permette la bascule de conférences physiques en ligne ou la tenue d’événements spécifiquement pensés pour ce support, la plateforme Twitch est utilisée de diverses manières par les acteurs de l’enseignement supérieur. Tous mettent en avant l’interactivité avec le public favorisée par Twitch. En voici trois cas d’usage.
Des cours de droit diffusés par un professeur des universités
Réaliser des cours sur Twitch plutôt que sur les plateformes traditionnelles mises à disposition par son établissement. Tel est le pari de Lukas Rass-Masson, professeur de droit et sciences criminelles, également directeur de l’École européenne de droit de l'Université Toulouse 1 Capitole.
Une réflexion antérieure à la crise sanitaire
L’universitaire commence ses premiers cours sur Twitch en septembre 2020, après avoir investi durant l’été, à ses frais, dans du matériel informatique performant. Qu’ils soient en quarantaine ou chez eux du fait des demi-jauges, ses étudiants peuvent ainsi assister aux enseignements.
Mais la réflexion de Lukas Rass-Masson précède, elle, la crise sanitaire. « Je cherchais un outil qui puisse permettre aux étudiants toulousains de suivre mes cours lors de leur mobilité. L’an dernier, tous les grands médias ont parlé de Twitch et je me suis intéressé à la plateforme comme outil de médiatisation. Elle s’utilise assez facilement quand on est bien équipé », raconte-t-il.
En plus de ses cours, Lukas Rass-Masson organise également sur la plateforme des conférences avec des invités. Ces lives sont ensuite accessibles en replay à tous, étudiants, passionnés ou professionnels du droit comme il l’explique dans la vidéo de présentation de sa chaîne Twitch.
« C’est insupportable de faire cours devant des écrans noirs »
« Zoom fonctionne très bien pour les cours en petits groupes où les étudiants participent et allument leur caméra. Sinon, c’est insupportable de faire cours devant des écrans noirs ! », constate Lukas Rass-Masson. Ce dernier adresse ses cours sur Twitch à un public précis, notamment les jeunes étudiants davantage adeptes de la plateforme.
« Pour les grandes cohortes de 200 à 400 étudiants, il y a plus d’interactions sur Twitch. Les étudiants n’ont pas le stress de la caméra allumée. Le cours conserve sa dynamique, le rythme est même plus rapide. Cela fonctionne très bien avec les premières années de licence par exemple, mieux qu’avec les quatrièmes années », souligne-t-il.
L’utilisation de la plateforme implique un changement de posture de l’enseignant. « On se livre davantage sur Twitch que dans un amphithéâtre. Cela crée une forme de proximité avec les étudiants », reconnaît le professeur de droit, également vice-président de l’Université Toulouse 1 Capitole en charge de la gouvernance.
Les Soirées mathématiques de Lyon adaptées pour la plateforme
Dans la capitale des Gaules, la Maison des mathématiques et de l’informatique de Lyon a elle aussi opté pour Twitch. Depuis février, elle a organisé sur la plateforme deux conférences, habituellement organisées en présentiel. Une adaptation contrainte par les restrictions sanitaires mais qui satisfaits les organisateurs…
Attendre le retour du présentiel ou basculer en ligne ?
Parler de la recherche en mathématiques à des étudiants de manière conviviale ! Tel est le concept des Soirées mathématiques de Lyon, événement organisé depuis 2012 sous forme de conférences ayant lieu à tour de rôle dans cinq établissements lyonnais : l’ENS, l’École Centrale, l’Insa, le Lycée du Parc et l’Université Lyon 1.
« Ces conférences montrent aux étudiants scientifiques post-bac divers pans de la recherche mathématiques, leurs applications et font le lien avec ce que les étudiants apprennent en licence ou en prépa. Nous sommes attachés à ces soirées conviviales qui commencent par une conférence et se terminent par une discussion avec l’orateur autour d’un pot », raconte Emmanuel Jacob, directeur adjoint du département de mathématiques de l'ENS de Lyon.
Avec la crise sanitaire, ces conférences ont d’abord été annulées au printemps 2020. « Pendant presque un an, nous avons attendu le retour des événements en présentiel, reconnaît-il. Il y avait des réticences de l’équipe organisatrice à basculer les Soirées mathématiques en ligne. Le temps passant, nous avons réalisé que le retour à la normale n’était pas pour tout de suite. »
Le concept de l’événement modifié pour le streaming
Confortés par l’offre de conférences sur des sujets scientifiques en ligne, et par l’expérience d’un membre de l’équipe utilisant Twitch pour ses cours, les organisateurs des Soirées mathématiques de Lyon se lancent sur Twitch. Ils adaptent leur formule en laissant plus de place aux discussions.
« C’est compliqué de rester concentré une heure sur un événement en ligne. Nous avons essayé de segmenter la conférence pour qu’un spectateur qui arrive au milieu ne soit pas perdu », explique Emmanuel Jacob, satisfait par le nombre de visionneurs.
Alors que ces conférences réunissent entre 100 et 200 personnes en présentiel, la chaîne Twitch des Soirées mathématiques de Lyon a enregistré entre 110 et 170 spectateurs en moyenne pour ces deux événements Twitch avec des pics à 400. Et les replays des conférences disponibles sur Youtube comptent plus de 250 vues chacun.
La première chaîne universitaire lancée par l’Université de Nîmes
L’Université de Nîmes a, elle, conçu un projet d’une tout autre ampleur sur la plateforme. Elle a lancé le 18 mars dernier une webTV aux programmes réguliers et variés.
Concours d’éloquence, semaine du développement durable, conférences d’histoire permettant aux doctorants de présenter leurs travaux ou encore une émission intitulée « Les chercheurs décryptent l’actu » se tiennent, entre autres, sur la première chaîne universitaire sur Twitch.
Proposer des contenus nouveaux aux formats plus libres
« Cela fait presque trois ans que nous parlons d’une chaîne Twitch, se souvient Yannick Martiquet, directeur de la Recherche à l'Unîmes. Nous avions déjà une chaîne YouTube, un compte Twitter et une page Facebook où nous faisions des live. Mais c’est difficile de capter du public sur un Facebook live assez long. Twitch permet justement l’utilisation de beaucoup de formats et autorise les formats plus longs. » Pour l’établissement, la crise sanitaire a servi d’accélérateur.
« L’engouement pour Twitch depuis l’épidémie a légitimé l’usage de la plateforme en termes de crédibilité », analyse Axelle Cadière, vice-présidente vie étudiante et vie de campus de l’université.
Elle envisage la plateforme comme un moyen d’animer autrement la vie des campus et sonde les étudiants qui se disent prêts à s’investir dans un tel projet. La situation sanitaire perdurant, l’université se lance donc sur Twitch. Sa chaîne comporte deux principaux volets :
- l’un consacré à la recherche avec comme objectif de vulgariser les carrières scientifiques en faisant intervenir enseignants-chercheurs et doctorants dans des émissions ;
- l’autre tourné vers la vie des campus pour permettre aux étudiants d’organiser des événements en ligne par exemple ou de mettre en valeur les associations de l’établissement.
Une implication des personnels, enseignants et étudiants
« Nous avons lancé la chaîne à coût zéro. C’était un parti pris au départ, nous voulions attendre d’être satisfait du contenu avant d’investir dans du matériel », explique Yannick Martiquet. Depuis, l’établissement a acheté deux caméras et quelques micros pour gagner en qualité.
La chaîne Twitch sert à la fois de média interne et externe à l’université. Elle compte un peu de plus de 400 abonnés, une audience encore confidentielle. Mais les statistiques de visionnage de la vingtaine de streams* réalisés sont encourageantes.
Nicolas Leroy, vice-président du conseil d’administration de l’université, anime chaque semaine une émission consacrée à l’histoire.
« Ce type d’événement pour un public très précis aurait peut-être réuni 30 à 40 fidèles toutes les semaines en présentiel. Selon les thèmes, entre 50 en 100 spectateurs sont présents sur Twitch toutes les semaines, avec parfois 350 personnes en rediffusion sur la semaine », détaille Yannick Martiquet.
Personnels, étudiants et enseignants peuvent proposer des idées d’émissions, récurrentes ou ponctuelles. Parmi les projets encore dans les cartons, l’organisation d’une prérentrée sur Twitch pour intégrer les nouveaux étudiants sous un format original.
Tendance ou effet de mode, quid de Twitch après la pandémie ?
Si la plateforme satisfait les acteurs du supérieur qui l’utilisent, cet engouement pour Twitch va-t-il s’inscrire dans le temps, une fois la pandémie passée ? Véritable tendance de fond ou effet de mode, difficile de trancher à ce stade.
Une chose est sûre pour Lukas Rass-Masson, « rien ne remplace les cours en présentiel. » De leur côté, les initiateurs de la chaîne Twitch de l’Unîmes, qui ont pensé une offre spécialement pour la plateforme, sont plutôt optimistes. « Nous faisons des choses qui n’auraient jamais vu le jour sans Twitch », assure Yannick Martiquet, qui envisage à l’avenir la plateforme comme une offre complémentaire des événements en présentiel.
*Stream : une diffusion en flux continu.