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Confinement : comment la visioconférence établit un lien différent entre le prof et l’étudiant

Par Marine Dessaux | Le | Pédagogie

Un nouveau lien, imprévu, inédit, surprenant, se crée entre élèves et professeurs par la visioconférence. Chacun est à la fois plus loin et plus proche, la communication est à la fois plus impersonnelle et plus intime. Le temps d’un cours, d’un oral, les professeurs sont témoins de la diversité des conditions de vie des étudiants.

Campus EMD - © EMD - © EMD
Campus EMD - © EMD - © EMD

Vincent Aubin, professeur d’anthropologie et d’éthique à l’EMD-School of business, Marseille

Vincent Aubin - © EMD
Vincent Aubin - © EMD

« On voit le décor, on rentre chez eux », raconte Vincent Aubin. Pour assurer la continuité pédagogique, ce professeur d’anthropologie et d’éthique à l’école de commerce EMD Marseille donne des cours mais organise aussi des oraux en utilisant la visioconférence, à l’instar de nombreux enseignants. « On pénètre dans leur intimité, c’est très riche comme expérience. On a un aperçu de là où vivent les étudiants, on réalise la diversité des conditions. Parfois on devine une vie de famille agitée dans le fond, il y a des étudiants et étudiantes avec de jeunes enfants aussi. L’une d’entre elles a été obligée de s’isoler dans une cage d’escalier pour avoir un peu de calme  ». La visioconférence donne donc à voir des situations que ne percevaient pas les enseignants avant le confinement.

Un moment d’échange privilégié

Même si l’EMD Marseille est une « petite » école, où les 400 étudiants ne sont jamais réunis en même temps, Vincent Aubin observe un effet d’homogénéisation sur le campus, qui disparaît avec la visioconférence. « Même si on parle beaucoup avec les étudiants à l’école, certains sont plus discrets ou se fondent dans le groupe. En échangeant avec la visioconférence on visualise directement la variété socio-culturelle de notre public et on discerne encore mieux les personnalités. »

Les oraux, en particulier, deviennent plus qu’une évaluation : un moment d’échange. « Pour mettre les étudiants à l’aise face à ce procédé nouveau, on discute un peu avec eux. Cela nous permet de savoir comment le confinement se passe, comment ils vont. »

Malgré cette infiltration du cercle scolaire dans la sphère privée, Vincent Aubin n’observe pas de malaise chez les étudiants. « Je n’ai pas l’impression qu’ils sont gênés. Selon moi, la qualité de l’expérience s’explique par le fait que, pour caler l’oral, il a fallu souvent échanger des mails, voire des sms, et qu’une confiance s’est établie. Et par le fait que nous vivons tous, pour la première fois, un événement collectif : il y a inévitablement une solidarité, une proximité inédites. Ce n’est pas la visio seule qui fait le lien, c’est le tout de cette expérience. L’épreuve partagée rapproche. »

Campus EMD - © MYOP Olivier Monge
Campus EMD - © MYOP Olivier Monge

Des points positifs et des professeurs qui s’adaptent

Sans comparaison avec le cours en présentiel, la visioconférence présente tout de même quelques avantages inattendus. Un silence absolu pendant le cours en fait partie. « Ce que j’aime bien dans le cours en visio, c’est que chacun coupe son micro sauf s’il veut intervenir : c’est donc évidemment plus calme qu’une classe réelle où il y a toujours un peu de bavardage ! Et les étudiants ne se coupent pas la parole non plus — parce qu’ils se connaissent déjà bien, et que manifestement il y a une bonne entente. »

C’est également l’occasion pour le professeur de se familiariser avec de nouvelles technologies et de préparer des cours très structurés à l’avance. « La nécessité d’avoir à parler à l’aveugle m’oblige à beaucoup plus préparer, et donc aussi à être plus structuré. J’espère que tout ce travail-là me resservira quand les cours en présentiel reprendront !  »

Pour compenser l’absence d’échange physique, les professeurs s’efforcent aussi d’être à l’écoute des étudiants et ce ne sont pas les moyens d’échanger qui manquent. « Les étudiants peuvent nous écrire, nous téléphoner. J’ai une étudiante qui prend soin d’une personne âgée et ne peut pas suivre les cours : je les lui envoie à distance. Un autre étudiant est bloqué à l’autre bout du monde, nous correspondons régulièrement par mail. »

Avec le confinement, le lien avec les élèves se transforme et le travail de professeur prend une nouvelle dimension : «  On travaille au moins autant qu’avant, si ce n’est plus. Pour compenser la présence physique, il faut trouver d’autres moyens d’interagir avec les étudiants. Là par exemple, j’allais commencer un cours avec un groupe d’étudiants que je n’ai jamais eus. Je leur ai demandé par mail de se présenter, cela fait 90 réponses, parfois bien détaillée, auxquelles j’essaie de répondre à mon tour par un petit mot. L’effet d’anonymat disparaît, et le cours en visio a été très vivant ! »

Des étudiants parfois paniqués et dans des conditions inégales

Si montrer un petit bout de leur quotidien aux professeurs ne semble pas poser de problème aux étudiants, la perspective d’oraux sous une forme nouvelle et à distance sème parfois un vent de panique. « Certains étudiants sont très stressés », explique Vincent Aubin. « Notre travail est avant tout de les rassurer. [[Faisant face à une école, ils ont toujours l’impression de devoir répondre à des attentes définies.]] Ils pensent devoir se conformer à certaines normes alors qu’en fait, ce n’est pas grave si la connexion est mauvaise ou si vous êtes interrompus par du bruit, ça ne vous exclut pas de la communauté éducative ».

Le hic, avec la visioconférence en temps de confinement, c’est qu’elle ne peut pas être suivie de façon égalitaire entre les étudiants. Cela oblige à avoir une bonne bande-passante et un endroit calme, ce qui n’est pas toujours le cas. « Le défi c’est de faire un cours qui tienne compte des différence de conditions, qui arrive à respecter l’étudiant », témoigne Vincent Aubin.  « Pour y arriver, on improvise beaucoup. L’objectif très clair : on se concentre sur l’essentiel, le reste peu attendre ».

En plus du calme, d’un ordinateur et d’une connexion correcte, il y a ces outils, pas indispensables en temps normal, mais qui isolent les étudiants qui en sont dépourvus : micro et caméra. « Lors d’un cours en visio, on sait que les étudiants sont branchés sur le cours, mais sans micro, ils ne peuvent ni intervenir ni participer. Certains m’ont écrit après coup pour expliquer leur silence, mais leur passivité forcée change totalement la nature du cours, pour eux comme pour nous. »

Campus EMD Marseille - © MYOP Olivier Monge
Campus EMD Marseille - © MYOP Olivier Monge

Des limites qui se font sentir

En ces temps où le distance learning est de mise, les moyens de communiquer se réinventent et chacun se fait aux conditions non-optimales. Pour Vincent Aubin, la visioconférence « ce n’est pas un “vrai” cours. Il y a les quelques côtés positifs, mais tout le négatif du virtuel : anonymat possible, et on ne “sent” pas sa classe, pas moyen de savoir en direct si on les ennuie ou si on les intéresse. Et puis, parler à un ordinateur est une expérience bien étrange… »

Le professeur d’éthique insiste sur l’importance du présentiel dans l’éducation : « Partager physiquement un même lieu pour former une communauté éducative, c’est indispensable. En temps normal, la visio serait seulement facteur d’anonymat ou de mentalité consumériste. La richesse inattendue de cette expérience, forcément provisoire, c’est d’être confronté à la volonté de maintenir à tout prix le lien avec nos étudiants  ».

En un mot : la visioconférence pendant le confinement oui, mais pas question d’en faire une norme pour l’avenir. « La visioconférence pour l’enseignement, ça ne peut être qu’un pis-aller, comme de porter un masque pour parler à son voisin de palier. On y arrive et c’est mieux que rien, mais… vivement que ça se termine ! »