Charles III accueilli comme un roi à l’université
Par Marine Dessaux | Le | Relations extérieures
Le 26 septembre, l’Université de Bordeaux a reçu un invité très spécial : Charles III y a visité la forêt expérimentale de Floirac. Le nouveau monarque du Royaume-Uni est resté le temps d’une promenade et d’échanges avec les chercheurs présents. Une visite qui a demandé une préparation minutieuse. Responsable du protocole de l’établissement, Mathilde Daire raconte les coulisses de la réception des personnalités politiques dans les universités.
Coordonner la réalisation de cérémonies officielles (inauguration de bâtiments, remise de doctorats « honoris causa »…), écrire des discours, veiller au bon déroulement de la venue de personnalités politiques françaises comme étrangères… Mathilde Daire maîtrise le protocole de l’accueil à l’Université de Bordeaux sur le bout des doigts !
Elle veille à ce qu’il soit respecté que ce soit pour recevoir la ministre de l’enseignement supérieur, Sylvie Retailleau, le prix Nobel de physique 2022 Alain Aspect, l’ancien secrétaire de l’Organisation des Nations Unies (ONU) Ban Ki-moon ou, dernièrement, le Roi Charles III du Royaume-Uni.
« Ces visites sont l’occasion de montrer notre savoir-faire, de mettre en valeur le rôle de l’université sur la ville et son impact sur la vie publique en général », énumère la responsable du protocole, un poste crée en 2016.
Un accueil qui ne laisse pas de place au hasard
À l’occasion de sa première visite en France depuis son couronnement, le Roi Charles III s’est rendu à Bordeaux… et a visité la forêt expérimentale située sur l’ancien Observatoire de Floirac, appartenant à l’université bordelaise.
Après un cocktail à la mairie et un tour sur un navire de la Royal Navy, le monarque du Royaume-Uni a échangé une petite heure avec le président de l’université, Dean Lewis, et les chercheurs du living lab FORLand porté par Sylvain Delzon, directeur de recherche au laboratoire Biogeco (unité mixte de recherche Inrae — Université de Bordeaux).
Une visite planifiée minute par minute et un accueil qui n’a rien laissé au hasard. « Lors de l’accueil de personnalités politiques, tout est défini : le lieu d’arrivée du cortège, les personnes présentes et l’ordre dans lequel elles sont positionnées », explique Mathilde Daire.
Cet ordre correspond au rang protocolaire : le président de l’université en premier — puisque c’est lui qui reçoit — puis par exemple, le préfet, le recteur et un représentant du conseil régional. Lors d’un discours, c’est toujours l’hôte qui ouvre, mais les prises de parole sont ensuite en sens inverse : la métropole puis la région par exemple. L’État, lui, parle toujours en dernier.
Comment s’adresser au roi ?
Que ce soit sur X (anciennement Twitter) ou son site internet, l’Université de Bordeaux se réfère, selon le protocole, à Charles III en écrivant « Sa Majesté le roi Charles III »… à défaut de dérouler son nom complet : « Sa Majesté Charles III, Roi du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord » !
Mathilde Daire a briefé les personnes amenées à saluer et à échanger avec le roi sur la façon de s’adresser à lui. « Il n’y a officiellement pas de code de conduite obligatoire, mais plutôt des usages », indique-t-elle. Parmi lesquels :
- la révérence, pour les femmes, ou le fait de s’incliner, pour les hommes, qui ne sont pas obligatoires, mais souvent pratiqués ;
- la poignée de main (après s’être incliné si on le souhaite), l’usage voulant que le roi tende la main en premier ;
- l’adresse au roi en l’appelant « Votre Majesté » (« Your Majesty ») puis « Sir » au cours de la conversation.
« Les personnels de l’ambassade étaient présents si nous avions des questions sur le sujet, et ont su rassurer tout le monde le jour J. Même si les choses restent assez cadrées, il y a une tendance à l’assouplissement », remarque Mathilde Daire.
En cas de faux pas, il n’y a donc pas de quoi s’inquiéter outre mesure. La preuve en est : le président de la République, Emmanuel Macron, ne s’est pas attiré les foudres du Roi qu’il a pourtant touché à de multiples reprises en dépit de l’étiquette !
En amont, cadrer les imprévus et la sécurité
« Prévoir le déroulé des événements ne suffit pas, il faut être préparé aux imprévus : si la personne a besoin de boire, d’aller aux toilettes, veut fumer… Mais aussi s’il faut faire une exfiltration », souligne la responsable du protocole.
L’Université de Bordeaux a ainsi dû s’adapter lors de la venue de Sylvie Retailleau à l’occasion de la rentrée universitaire, le 14 septembre 2023. La ministre a voulu faire le tour de chaque stand du village d’associations et d’acteurs de la vie étudiante. « Il peut arriver de ne pas tenir les timings. Dans ce cas, il faut savoir subtilement couper la séance et faire signe qu’il est temps de partir. »
La sécurité est un enjeu de premier plan, mais revient souvent à la charge de la préfecture ou de l’ambassade. Pour la venue du Roi, plusieurs répétitions générales et visites de sécurité ont eu lieu et les échanges avec la police étaient quotidiens à l’approche de l’événement.
L’université peut être amenée à faire appel à une partie des équipes de sécurité ou en charge de trouver des solutions en cas de risque de sécurité propre au lieu. « Le parcours du Roi l’amenait à marcher sur un caillebotis en bois qui présentait un risque de glissade en cas de pluie. Pour être sûrs que personne ne glisse et ne se blesse, nous avons dû le recouvrir entièrement au préalable », décrit Mathilde Daire.
Plus ou moins de marge de manœuvre pour l’université
Le programme de la visite d’une personnalité politique laisse plus ou moins de place à l’imagination de l’université qui reçoit.
« Le cabinet ou la préfecture viennent vers nous pour proposer des séquences. Parfois les idées sont très précises, comme pour la visite du Roi, et parfois il y a de la place pour soumettre des idées, comme ça a été le cas avec la venue de la ministre en septembre. »
De l’importance des bonnes relations avec les collectivités
Pour faire venir des ministres et autres personnalités politiques, l’Université de Bordeaux bénéficie d’un emplacement rapide d’accès depuis Paris. Mais si l’établissement est sollicité parmi une diversité d’acteurs disponibles, c’est en partie grâce à ses bonnes relations avec le cabinet de la préfecture. « Établir une relation de confiance facilite beaucoup le travail », explique Mathilde Daire.
Entre cinq et dix visites de personnalités politiques par an
L’Université de Bordeaux organise « une à deux grosses visites par an et quatre à cinq plus petites », estime Mathilde Daire. Un travail qui lui demande de s’appuyer sur tous les services de l’université. Ces réceptions demandent surtout du temps humain, particulièrement dans les cas où les délais de prévenance sont très courts (parfois le vendredi pour le lundi), mais peu de dépenses financières : « Cela nous coûte du café et des gâteaux ! », sourit la responsable de protocole.
En quatre ans à ce poste, il n’est jamais arrivé à Mathilde Daire de devoir refuser une opportunité d’accueil, « mais il y a des choses qui ne se réalisent pas, jusqu’à la dernière minute, une venue peut ne pas avoir lieu ».
Comment faire venir des personnalités politiques dans son établissement ?
Peut-on « postuler » pour accueillir des invités internationaux lors de leur déplacement dans une ville ?
« Je ne l’ai jamais fait, répond la responsable protocole. Quand on apprend leur venue dans la presse, il est déjà trop tard : les programmes sont fixés. À titre d’exemple, les contacts pour la venue du roi fin septembre ont été pris en juin et la confirmation a suivi en août. »
En revanche, rien n’empêche de lancer des invitations… avec plus ou moins de succès ! La venue de Sylvie Retailleau, en septembre, était partie d’une invitation envoyée à son cabinet.
Autre moyen de recevoir des personnalités politiques, comme Ban Ki-moon qui a reçu un doctorat honorifique, est de s’appuyer sur les liens préexistants : « Souvent des choses se créent via des personnes qui se connaissent. »