Plongée au cœur du Cneser, le « Parlement » de l’ESR
Par Catherine Piraud-Rouet | Le | Relations extérieures
Le Cneser, qui se réunit pour une nouvelle mandature depuis le 12 septembre après les élections de juin dernier, est un organe collégial qui a un œil sur toutes les décisions touchant à l’enseignement supérieur et à la recherche. Il occupe aussi la fonction de juridiction d’appel des sanctions disciplinaires prononcées par les établissements envers leurs personnels et enseignants. Autant de missions qui, bien souvent, ne sont pas exemptes de rebondissements et de remous. Découverte des arcanes d’un microcosme encore largement opaque.
Le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, plus communément appelé Cneser, est issu de la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 modifiée. L’institution a une double casquette : organe consultatif et juridiction administrative.
1. Un organe consultatif
C’est, d’abord, un organe consultatif placé auprès de la ministre de l’enseignement supérieur et à la recherche (ESR), qui le préside et le consulte en amont de toute décision politique. Comme tel, il donne son avis sur :
- Les stratégies nationales de l’ESR et les rapports biennaux au Parlement;
- Les bilans établis par l’État à destination des institutions européennes et la mise en œuvre des stratégies européennes d’ESR ;
- La répartition des emplois et des moyens entre les établissements à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP) et publics ;
- Les projets de réformes concernant l’organisation de la recherche et l’emploi scientifique ;
- Le cadre national des formations, la liste des diplômes et les modalités et demandes d’accréditation ;
- La carte des formations supérieures et de la recherche ;
- La création, la suppression ou le regroupement d’établissements ou de composantes ;
- La liste des formations.
Quels en sont les membres ?
Le Cneser compte 100 membres titulaires, dont :
- 60 représentants des responsables, des personnels et des étudiants des établissements élus par leurs pairs tous les quatre ans (deux ans pour les étudiants) ;
- 40 personnalités extérieures, nommées par arrêté de la ministre de l’ESR.
Le nombre de mandats est limité à deux.
2. Juridiction administrative
Le Cneser est aussi une juridiction administrative, amenée à examiner en appel des sanctions disciplinaires mises en œuvre par les établissements à l’égard des enseignants-chercheurs, enseignants et usagers, ainsi que le relèvement des exclusions, déchéances et incapacités.
Un décret de juin 2020, publié dans la foulée de la Loi de transformation de la fonction publique de 2019, a ôté du champ de compétences de la juridiction les sanctions prises à l’encontre des étudiants, qui sont désormais contestées devant le tribunal administratif.
Ses membres
Le Cneser disciplinaire se compose de quatorze conseillers titulaires et d’autant de suppléants, à raison de cinq élus parmi les professeurs des universités ou personnels assimilés, du même nombre d’élus parmi les maîtres de conférences, maîtres-assistants, chefs de travaux ou personnels assimilés et de quatre titulaires parmi les représentants des étudiants.
3. Une quinzaine de textes étudiée par séance
Le Cneser a deux modes de fonctionnement distincts pour étudier les dossiers qui lui sont confiés.
- Le Cneser plénier se réunit trois fois par an : une séance de rentrée, une sur le budget en général en novembre et la dernière en juillet.
- La commission permanente (40 membres) est convoquée mensuellement.
Les textes — une quinzaine par séance en moyenne — sont présentés un à un par les différentes sous-directions. Chaque groupe exprime son avis sur le texte concerné et présente ses éventuels amendements. La parole y est plutôt facile.
« Le Cneser est un endroit où il est possible discuter, à la fois avec les autres organisations syndicales, avec France Universités et avec la Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (Dgesip) souvent relativement ouverte », apprécie Anne Roger, co-secrétaire générale du Snesup-FSU.
« Les débats sont moins formels qu’en comité social d’administration (CSA) ministériel. On peut s’exprimer, essayer de peser sur tel ou tel dossier », ajoute Alain Favennec, secrétaire général adjoint du SNPTES-Unsa.
Pour Frédérique Bey, membre du bureau national de la CGT FERC SUP et du bureau fédéral de la FERC, « si le temps nous est forcément compté, nous ne sommes pas chronométrés non plus. Les tensions se font surtout sentir quand la ministre est là : comme en général son temps de présence ne dépasse pas 1 h 30, tout le monde a envie de s’exprimer. »
Après chaque intervention, l’administration informe si elle reprend ou non, puis c’est l’heure du vote, par boîtiers électroniques.
La ministre, présidente du Cneser
La ministre de l’ESR, sa présidente attitrée, n’y brille que rarement par sa présence, et ce quel que soit le locataire de la rue Descartes. « Frédérique Vidal comme Sylvie Retailleau ont dû venir une fois pendant leur mandat [à la date de parution de cet article Sylvie Retailleau est venue trois fois, selon le décompte de Campus Matin, NDLR]. Sinon, la ministre est généralement représentée par la direction de la Dgesip, parfois par la direction générale de la recherche et de l’innovation », rapporte Frédérique Bey.
4. Des dossiers plus ou moins consensuels
Les débats se tiennent généralement de 9 h à 18 h. « Il y a des textes très courts et qui ne posent pas de problèmes, mais sur certaines questions, notamment de budget, les discussions sont à rallonge. Et une fois entrés dans l’arène, on ne sait pas quand on va sortir », note Caroline Mauriat, co-secrétaire générale du Snesup-FSU.
Certains sujets font l’objet d’un consensus fort. « Il y a une certaine unanimité syndicale sur la nécessité d’arrêter d’accréditer les formations privées : des cursus payants et pas forcément de bonne qualité », pointe Alain Favennec.
Même fil rouge partagé contre la réforme des retraites, sur les violences policières dans les universités, les problèmes de locaux ou environnementaux, le covid… « Autant de thématiques qui ont fait l’objet de motions en intersyndicale et donné lieu à des votes largement majoritaires, voire unanimes », détaille Frédérique Bey.
Mais parfois, la partie est moins facile. Tous gardent dans leurs souvenirs certains Cneser d’anthologie, au premier rang desquels celui dédié à la Loi de programmation de la recherche (LPR), le 18 juin 2020, que la marée d’amendements déposés par tous les groupes a fait durer toute la nuit.
Ou de certains textes qui ont monopolisé une séance complète « comme l’arrêté doctorat (mai-juin 2022), sur lequel ont dû être passés en revue quelque 80 amendements », évoque Boris Gralak, secrétaire général du SNCS-FSU.
5. Préparation très chronophage
Que la séance tienne de la mer d’huile ou du gros temps, elle nécessite un travail de préparation préalable très conséquent. Les ordres du jour sont de plus en plus lourds. En jeu notamment, la multiplication des demandes d’accréditations des formations privées, mais aussi les regroupements d’établissements, qui nécessitent un travail en coordination avec la base sur le terrain.
« Si l’on y ajoute l’étude des dossiers et la préparation de nos interventions, cela représente au moins trois à quatre jours entiers de travail par mois », estime Frédérique Bey.
Une tâche d’autant plus lourde qu’elle doit parfois se faire en accéléré, regrette Jean-Pascal Simon, secrétaire général de Sup’Recherche-Unsa. « Souvent, nous ne recevons les éléments du ministère qu’une semaine avant, voire moins . »
Opacité et faible représentativité des scrutins
D’autres polémiques agitent, de manière récurrente, les rangs du Cneser. D’abord, une certaine opacité des travaux menés.
« Il est dommageable qu’il ne soit fait aucune publicité sur les travaux de cette institution à double mission », regrette Marcel Sousse, tête de liste de l’association pour la Qualité de la science française.
Également pointée : la représentativité assez faible des scrutins conduisant à la désignation des membres. Lors des élections de juin dernier, les taux de participation varient de 14 % (collège des chercheurs EPST) à 53,1 % (personnels scientifiques des bibliothèques EPSCP). Des interrogations se font jour, aussi, sur les modalités d’organisation des élections des représentants des personnels.
« Celles-ci sont organisées localement, parfois de manière très approximative, déplore Jean-Pascal Simon. Dans certains établissements, elles se font parfois à l’urne, dans d’autres en ligne, sans unification au niveau national. »
6. Une influence largement questionnée
Mais le questionnement majeur touche à l’influence réelle de l’institution. Déjà, parce que certains sujets cruciaux, comme le nouveau régime indemnitaire des enseignants-chercheurs, ne sont pas examinés en Cneser, mais en comité social d’administration ministériel. Ensuite, du fait de l’absence de pouvoir décisionnel de l’organe.
« Les préconisations du Cneser sont en général très peu suivies par le ministère. D’ailleurs, on nous demande même parfois des labellisations alors que l’accréditation est déjà en cours », témoignent Anne Roger et Caroline Mauriat, qui appellent de leurs vœux l’évolution du Cneser en tant qu’instance délibérative.
Frédérique Bey affine toutefois l’analyse : « On ne peut que faire bouger des choses à la marge, par exemple l’obtention par certains de quelques créations de postes supplémentaires en échange de leur signature sur la LPR. Mais le Cneser est pour nous une instance d’information sur les réformes en cours et une tribune envers les personnels des établissements. »
Des leviers d’action plus insidieux
Pour se faire entendre, élus et personnalités nommées ont toutefois quelques cartes à jouer. Primo, la possibilité de créer des commissions d’études spécialisées pouvant formuler des propositions d’avis ou des rapports. Une d’elles, sur la recherche publique, a été initiée en 2016 par le Snesup-FSU.
« Nous y avons travaillé de nombreux textes : sur les investissements d’avenir, sur les coûts cachés par le système de financement par appels à projets et la transformation des conditions de travail et des activités de recherche induite par ceux-ci, sur le crédit impôt recherche… », détaille Boris Gralak du SNCS-FSU.
« Cette commission se réunit très souvent et le ministère lui donne tous les moyens de fonctionner, commente Frédérique Bey. Elle est à l’origine de rapports éventuellement porteurs de préconisations, sur le financement de la recherche ou des appels à projets ».
Sup’Recherche-Unsa a ainsi demandé à la Dgesip la création d’un lieu d’échanges sur la répartition des moyens.
Autre levier d’influence : les demandes ponctuelles du ministère d’entendre les membres du Cneser sur certains sujets, comme, récemment, l’introduction des questions environnementales dans les formations dans la foulée du rapport Jouzel, ou encore la création d’une charte de la laïcité dans le supérieur.
« Les convocations se font en dehors des séances, sur la base de discussions informelles avec des experts. Là, oui, vu que nous sommes sollicités, nous pouvons plus facilement remonter des choses, même si la décision reste à la main du ministère », note Frédérique Bey.
Les élus peuvent aussi s’appuyer sur un travail transversal avec leurs collègues d’autres instances (CSA ministériel, formation spécialisée — ex-conseils supérieurs de l’éducation et de la fonction publique…). Et quand, décidément, ça ne passe pas, reste l’arme du boycott, qui a notamment été utilisée, de manière intersyndicale, lors de la mobilisation contre la réforme des retraites.
Ces remous auront-ils à nouveau lieu d’être lors de la nouvelle mandature ? « Le dialogue était très compliqué avec Frédérique Vidal. Avec Sylvie Retailleau, l’amélioration est assez nette sur la forme, mais la ligne politique ne change pas, voire se durcit encore », commente un syndicaliste.
La rentrée se présente donc sous le signe de la vigilance… et de la ténacité.
Cneser disciplinaire : une réforme qui divise
Principale nouveauté de cette rentrée au Cneser : l’entrée en vigueur, via la publication, le 5 septembre, du décret d’application de la loi de transformation de la fonction publique de 2019, qui installe un représentant du Conseil d’État en lieu et place d’un enseignant-chercheur à la tête de l’institution statuant en matière disciplinaire. L’aboutissement législatif de plusieurs années de polémiques.
La principale ? Des allégations de laxisme, voire de complaisance, de la juridiction envers les enseignants et personnels soumis à des sanctions de leur établissement, notamment en matière de violences sexuelles et sexistes. Entre 2009 et 2019, 42 % des décisions du Cneser disciplinaire ont ainsi allégé la sanction de première instance, contre 49 % qui l’ont confirmée et 9 % durcie. Avec, en corollaire, la question du professionnalisme et des délais de traitement de ces affaires.
Un sujet qui divise profondément l’institution : lors du vote du projet de décret en CSA ministériel le 17 avril 2023, l’Unsa a voté pour ; la CGT, la FSU, FO et SUD ont voté contre ; le Sgen-CFDT s’est abstenu. « C’est un changement profond par rapport à la discussion collégiale qui existait jusqu’à maintenant. Avec à la clé un risque de dérives », appuie Mustapha Zidi, du Snesup-FSU et président du Cneser disciplinaire de 2011 à septembre 2022.
Caroline Mauriat réfute aussi les allégations de laxisme : « On perd la présidence par les pairs et l’instance de cassation est aussi le Conseil d’État. Ce qui relève du conflit d’intérêts. »
Le ressenti est tout autre du côté du côté du Snptes-Unsa : « La réforme consolide les droits de la défense, légitime les décisions et permettra in fine de prendre des sanctions proportionnées à la gravité des faits », déclare le syndicat dans un communiqué.
Opposants comme soutiens à la réforme demandent à ce que perdure le travail collégial, via le rôle essentiel du VP de la juridiction, qui resterait sous commande universitaire.
- Pour en savoir plus, consulter le règlement du Cneser.
Concepts clés et définitions : #Cneser ou Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche