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Responsabilité des ordonnateurs : une réforme, des incertitudes et beaucoup de méconnaissances

Par Isabelle Cormaty | Le | Personnels et statuts

À partir du 1er janvier 2023, un nouveau système de responsabilité financière entrera en vigueur dans les institutions publiques comme les établissements du sup'. Mais une partie des personnes concernées par la réforme estime manquer d’informations sur le sujet et sur ses implications pour leur fonction. Témoignages.

La réforme de la responsabilité financière des ordonnateurs s’appliquera dès le 1er janvier 2023 - © D.R.
La réforme de la responsabilité financière des ordonnateurs s’appliquera dès le 1er janvier 2023 - © D.R.

Au début de l’année 2023, la réforme de la responsabilité des ordonnateurs se substituera à la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics. En cas d’infraction, l’agent comptable ne sera plus le seul responsable, mais tous les acteurs de la chaîne pourront être mis en cause en cas de faute grave ayant causé un préjudice financier significatif à l’établissement.

Comment la réforme est-elle appréhendée ?

« Le niveau d’informations est assez faible sur le sujet. Les sanctions encourues peuvent aller jusqu’à six mois de salaire. Les doyens d’UFR ne sont pas agents comptables et ne sont pas formés à la gestion financière. Ils reçoivent un salaire pour leur travail d’enseignant-chercheur, et une prime de doyen », explique Laurence Mouret, présidente de la Conférence des doyens et directeurs des UFR scientifiques (CDUS).

De leur côté, « les collègues directeurs d’Unité de formation et de recherche (UFR) de Staps ne sont pas inquiets par cette réforme, ils sont suffisamment responsables dans la gestion des finances », déclare Aurélien Pichon, président de la Conférence des directeurs et doyens d’UFR Staps (C3D Staps).

Un texte qui renforce la faible attractivité des postes à responsabilité ?

Aurélien Pichon dirige la Conférence des directeurs et doyens d’UFR de Staps depuis janvier 2020. - © D.R.
Aurélien Pichon dirige la Conférence des directeurs et doyens d’UFR de Staps depuis janvier 2020. - © D.R.

« Nous rencontrons régulièrement des difficultés pour trouver des directeurs de laboratoires ou de département. Si quelqu’un hésite à prendre des responsabilités, la réforme ne va pas l’encourager », regrette Laurence Mouret. La doyenne de l’UFR de sciences d'Aix-Marseille Université met en avant le manque d’attractivité des postes de direction dans l’enseignement supérieur et la recherche.

Faut-il alors craindre une crise des vocations comme l’avancent les détracteurs du texte ? Pas forcément ! « La gestion financière n’est pas ce qui pèse le plus dans la direction d’UFR », souligne Aurélien Pichon, qui dirige aussi l’UFR de Staps de l'Université de Poitiers.

Plus de transparence dans les pratiques, mais pas de révolution

Laurence Mouret est doyenne de l’UFR de sciences à Aix-Marseille Université depuis 2017. - © twitter
Laurence Mouret est doyenne de l’UFR de sciences à Aix-Marseille Université depuis 2017. - © twitter

Si la réforme sanctionne les gestionnaires publics qui ont commis « une faute grave ayant causé un préjudice financier significatif », elle n’entraînera pas pour autant de changements majeurs de pratique d’après les intéressés, mais plus de transparence.

« Mes collègues doyens et directeurs d’UFR de sciences ne déclarent pas tous dans leur budget les subventions accordées aux associations, comme l’adhésion à la CDUS par exemple. Nous serons plus vigilants et transparents sur ce point », illustre la présidente de la Conférence des doyens et directeurs des UFR scientifiques

Aurélien Pichon abonde : « La transparence évitera qu’on accuse les directeurs pour des erreurs inconscientes. Je pense aux achats multiples avec un même fournisseur sur une année. Il arrive parfois que nous passions une commande de trop, car nous n’avons pas toujours les moyens humains et les outils pour suivre les dépenses. »

Un sujet souvent méconnu des concernés

Au-delà des inquiétudes soulevées par la réforme, cette dernière souffre surtout d’un défaut de connaissance de la part des concernés qui s’estiment parfois pas ou peu informés sur ces enjeux. « Je n’ai pas encore pris la mesure réelle de ce que représente cette réforme », confie un directeur de composante qui a décliné notre demande d’interview comme plusieurs autres personnes.

Un effort de pédagogie des établissements

« Les universités et les services centraux ont communiqué sur cette réforme, mais jusqu’où l’information a-t-elle été diffusée ? Les collègues en troisième niveau de délégation de signature sont-ils au courant ? », s’interroge Aurélien Pichon.

Frédéric Dehan est DGS de l’Université Paris Est Créteil. - © D.R.
Frédéric Dehan est DGS de l’Université Paris Est Créteil. - © D.R.

Si certains établissements ont expliqué la réforme aux personnels, tous ne l’ont pas encore fait, ce qui explique un niveau d’information très hétérogène sur le sujet. Le directeur général des services (DGS) de l'Université Paris Est Créteil et président de l’association qui regroupe les DGS, Frédéric Dehan insiste sur l’importance de la pédagogie. « Faire face à la prévention des doyens, quelles que soient les disciplines, passe par de la pédagogie et de l’explication du niveau de responsabilité, de la nature et du périmètre de la faute », prévient-t-il.

« Il va falloir mettre sur la table ces sujets, auparavant considérés comme très techniques et qui intéressaient très peu de monde. Il faudra en discuter en conseils de composantes et l’expliciter en conseil d’administration, car il est important que les administrateurs aient les éléments », déclare-t-il à News Tank (abonnés).