Des chercheurs créent un cahier numérique pour apprendre les sciences expérimentales
Par Isabelle Cormaty | Le | Pédagogie
Des enseignants-chercheurs de l’Université Grenoble Alpes ont conçu un cahier numérique pour l’enseignement des sciences expérimentales. Issue d’un projet de recherche en didactique, la plateforme LabNbook permet aux étudiants de produire des écrits scientifiques de manière collaborative. Ses concepteurs espèrent maintenant une diffusion dans d’autres établissements.
Faute d’outils qui leur convenaient pour faire élaborer des protocoles scientifiques et modéliser des données en classe, une dizaine de chercheurs et d’enseignants-chercheurs de l’Université Grenoble Alpes (UGA) ont décidé de les créer !
D’abord disparates, ces outils ont donné naissance à une première plateforme collaborative appelée LabNbook en 2011. Après plusieurs expérimentations confidentielles par l’équipe Modèles et technologies pour l’apprentissage humain du laboratoire informatique de Grenoble, d’autres enseignants de l’établissement se servent du cahier numérique à partir de 2014.
Un projet de recherche en didactique
Ce projet de recherche en didactique des sciences a bénéficié de plusieurs financements publics et du soutien de l’Institut Carnot de l’éducation, réseau de coopération entre équipes éducatives et chercheurs. LabNbook a notamment été lauréat en 2018 de l’appel à manifestation d’intérêt transformation pédagogique et numérique, ouvert par le ministère de l’enseignement supérieur.
La plateforme est principalement utilisée dans les disciplines scientifiques. C’est à la fois un cahier de laboratoires en ligne et un outil pour réaliser des comptes-rendus de travaux pratiques ou des rapports collaboratifs. « LabNbook peut aussi servir dans d’autres matières comme une simple plateforme collaborative, car l’enseignant peut structurer et superviser le travail des étudiants », souligne Cédric d’Ham, maître de conférences à l’UGA et porteur du projet.
LabNbook incorpore depuis peu JupyterLite, une plateforme open source pour apprendre le code à distance, ce qui permet donc aux enseignants d’observer leurs étudiants coder. « Avec la faculté des sciences de l’UGA, nous voulons développer des TP virtuels à travers les outils de conception d’expérience et de simulation », poursuit Cédric d’Ham.
L’équipe de chercheurs améliore la plateforme en fonction des demandes des utilisateurs et des établissements partenaires. « Nous testons actuellement ou nouvel outil pour l’évaluation dans LabNbook et nous allons le connecter aux compétences RNCP afin d’inscrire les activités scientifiques des étudiants dans un portefeuille de compétences », indique-t-il.
Un suivi plus fin des étudiants
Pour le concepteur du cahier numérique, LabNbook présente plusieurs avantages :
- « Un suivi des étudiants plus fin.
- Un travail itératif : l’enseignant peut demander à un étudiant de modifier une partie de son devoir si besoin, ce qui n’est pas possible avec une copie papier.
- De nouvelles activités proposées aux étudiants : la modélisation, la conception d’expérience et le côté collaboratif. Les étudiants conservent le compte-rendu du TP, alors que les binômes le divisent d’habitude. »
Claire Wajeman, maîtresse de conférences en physique à l’UGA illustre, lors du Edtech day, organisé le 4 octobre par l’association EdTech Lyon :
« En première année, les TP de mécanique comportent une préparation assez théorique que les étudiants me rendaient en début de séance et que j’évaluais après. Pendant les TP, je pouvais donc peu les aider, car je n’avais pas eu le temps de regarder leur préparation. »
« Avec LabNbook, je demande aux étudiants de finir leur préparation une demi-journée avant le TP. Je leur fais un retour sur leur préparation et réponds à leurs questions. Cela change beaucoup de choses dans la relation à l’étudiant, car je vois comment ils travaillent sur chacun des documents et peux les accompagner du début à la fin », ajoute-t-elle.
Une plateforme créée et étudiée par des chercheurs
Issue de recherches en didactique des sciences expérimentales, la plateforme est aussi utilisée par les chercheurs dans le cadre de leurs travaux. Quels sont les outils nécessaires pour apprendre une discipline ? Comment les enseignants se saisissent-ils de ces outils ? Autant de questions étudiées par l’équipe de LabNbook.
« Je travaille avec des chercheurs qui s’intéressent à l’appropriation du numérique dans l’enseignement. Beaucoup de travaux établissent des liens entre la transformation pédagogique et les outils numériques, mais peu de travaux existent sur ce qui transforme vraiment la pédagogie, aussi bien dans ses modalités que dans le contenu de ce qui est enseigné », précise Maëlle Planche, ingénieure d’études en analyse de données au Centre des nouvelles pédagogies.
Le cahier numérique développé par l’UGA améliore-t-il l’apprentissage des sciences expérimentales ? Difficile à évaluer, comme l’explique Cédric d’Ham. « LabNbook change la manière d’enseigner, donc nous n’avons pas de base de comparaison. La plateforme soutient probablement des apprentissages plus fondamentaux. Les enseignants continuent d’utiliser la plateforme, c’est là notre réussite ! »
Vers une diffusion dans d’autres établissements ?
3800 étudiants ont utilisé LabNbook, dont 700 d’un autre établissement que l’Université Grenoble Alpes durant l’année universitaire 2022-2023. Les concepteurs de la plateforme ont également recensé 273 enseignants actifs l’an dernier.
« La toute première diffusion s’est faite par les étudiants qui ont demandé à leurs professeurs d’utiliser l’outil », retrace Cédric d’Ham. L’IMT Atlantique, CPE, l’École normale supérieure de Lyon ou encore l’Université de Strasbourg figurent parmi les utilisateurs.
« Il s’agit plutôt d’utilisations locales d’enseignants qu’une diffusion à l’échelle de tout un établissement », reconnait le porteur du projet. L’équipe de LabNbook espère toutefois un essaimage plus large dans d’autres écoles et universités. Dans le cadre de l’appel à projets « Maturation » du volet formation de l’Idex, l’équipe de chercheurs a embauché une personne chargée de la diffusion de l’outil.
Cette dernière peut prendre deux formes : l’accueil des comptes utilisateurs par l’Université Grenoble Alpes d’autres établissements, moyennant entre 0,9 et 1,1 € par étudiant et par an, ou l’intégration de la plateforme et son plug-in Moodle, disponibles sous licence libre.
Une expérimentation dans les lycées
Une expérimentation de LabNbook est également prévue dans les établissements scolaires via la plateforme Éléa, le pendant de Moodle dans l’éducation nationale qui sera généralisée dans toutes les académies d’ici 2024. La plateforme est cette fois utilisée tant pour les sciences expérimentales que pour les sciences du numérique.
Enfin, autre perspective de développement, les concepteurs du cahier numérique ont candidaté au programme « Open » porté par le CNRS innovation et dédié à la valorisation des logiciels libres.