Numérique

Personnalités de la pédagogie : André Tricot, la psychologie cognitive appliquée à l’apprentissage

Par Marine Dessaux | Le | Pédagogie

Professeur de psychologie cognitive et chercheur renommé dans l’ingénierie pédagogique, André Tricot est une référence dans son domaine, notamment pour son approche des usages numériques dans l’enseignement. Pour Campus Matin, il revient sur son parcours et ses travaux.

André Tricot revient sur son parcours et ses travaux. - © Pixabay
André Tricot revient sur son parcours et ses travaux. - © Pixabay

S’il est un nom de chercheur français en ingénierie pédagogique qui surgit souvent, au détour d’une interview ou d’un webinaire sur la pédagogie en général et le numérique en particulier, c’est bien celui d’André Tricot.

En plus d’avoir participé à intégrer les Tice à l’école et publié un ouvrage « Apprendre avec le numérique » (2014)[1], il a plus récemment coordonné la grande étude « Numérique et apprentissages scolaires » du Centre national d’étude des systèmes scolaires. S’il considère le digital comme un outil « qui peut être formidable », il prône une pédagogie au cœur de la construction des enseignements.

Formé à former, le professeur de l’Université Paul Valéry Montpellier 3 est en premier lieu un spécialiste de la psychologie cognitive qui partage son expertise auprès du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, de l’OCDE ou à destination des enseignants, notamment sous la forme d’ouvrages.

Parcours : « En IUFM, je me suis intéressé à la formation des enseignants »

André Tricot complète un diplôme d’études supérieures spécialisées* en technologie de l’information à Aix-Marseille Université, en 1989. Suivi d’un DEA** et doctorat en psychologie cognitive, au Centre de recherche en psychologie cognitive, CNRS et Université de Provence. Ses spécialités ? La psychologie cognitive appliquée à aux apprentissages, la recherche d’information notamment sur le web, et plus généralement l’ergonomie - c’est-à-dire « l’usage de la psychologie pour analyser les situations et proposer des améliorations ». Une notion qui possède de nombreux domaines d’application, dont la pédagogie.

André Tricot est spécialisé dans la psychologie cognitive - © D.R.
André Tricot est spécialisé dans la psychologie cognitive - © D.R.

En 1997, il est ensuite recruté comme maître de conférences à l’institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) de Bretagne puis à l’IUFM Midi-Pyrénées, aujourd’hui Inspé Toulouse Occitanie-Pyrénées, de 2000 à 2005. Il y devient professeur de psychologie et effectue également un mi-temps au service universitaire de l’Université Toulouse 3 Paul Sabatier. Depuis 2019, il est professeur de psychologie cognitive à l’Université Paul Valéry Montpellier 3.

« Au départ, je me suis penché sur la formation du premier et second degré et depuis une quinzaine d’années, j’ai commencé à m’intéresser à la pédagogie universitaire. J’ai été autant intéressé si ce n’est plus par la pédagogie de l’enseignement supérieur, j’ai notamment créé un master conseil et ingénierie pour l’enseignement supérieur », rapporte André Tricot.

Avec le recul, il observe : « C’est grâce à ma spécialité que j’ai été recruté, par rapport à mes autres collègues j’ai été un des rares à m’investir dans la formation des enseignants ».

Avec des collègues de thèse, « s’intéresser au bon sujet au bon moment »

Parmi les collaborations de recherche d’André Tricot, on retrouve des chercheurs dont il a dirigé la thèse (Franck Amadieu, Florence Lespiau…) mais aussi des collègues de thèse.

Nous nous rencontrions dans un petit colloque, d’une vingtaine de personnes

« Avec Jean-François Rouet, Mireille Bétrancourt, Erica de Vries ou encore Jean-Michel Boucheix, nous nous sommes spécialisés, au milieu des années 1990, sur le traitement cognitif des documents complexes qui n’était pas un sujet populaire, et même très marginal. Chaque année, nous nous rencontrions dans un petit colloque, d’une vingtaine de personnes pas plus. Le sujet a ensuite pris du poids dans les années qui ont suivi (avec le Web, le multimédia et les hypertextes comme Wikipédia) et nous avons tous eu la chance de faire une belle carrière et d’obtenir la reconnaissance de l’importance de ce sujet. Nous nous sommes, finalement, intéressés au bon sujet au bon moment. »

Universités, écoles d’ingénieurs, fac de médecine … « Des collaborations avec les établissements passionnantes »

L’enseignant-chercheur collabore au cours de sa carrière avec divers établissements. Parmi eux, plusieurs universités étrangères, notamment en tant que professeur invité à la School of Education de l’Université de New South Wales à Sydney (2011-2012) et prochainement à l’Université de Louvain la Neuve.

« J’ai pu faire des collaborations passionnantes avec les établissements. Pendant mes 19 années à Toulouse, j’ai travaillé avec l’université et les écoles d’ingénieurs. Des deux côtés, j’ai été constamment sollicité et invité sur des projets divers. »

Dans le cadre d’un projet Initiatives d’excellence en formation innovante, l’Idefi Défi Diversité, il travaille à améliorer l’accueil pédagogique d’étudiants de plus en plus divers.

« Pendant près de cinq ans, nous avons suivi le projet et mesuré l’impact des initiatives auprès des étudiants, c’était très enrichissant. »

Approfondir des sujets nouveaux en fonction des opportunités

Les domaines qui touchent à la psychologie cognitive sont nombreux et emmènent André Tricot sur divers sujets de recherche.

« J’ai été sollicité pour une recherche sur l’utilisation de Moodle pendant le confinement. La question : peut-on prévoir des difficultés ou des réussites dans la façon dont est utilisée la plateforme ? »

Université Paul Valéry Montpellier 3 où André Tricot enseigne depuis 2019. - © D.R.
Université Paul Valéry Montpellier 3 où André Tricot enseigne depuis 2019. - © D.R.

Il étudie également, toujours dans le cadre de l’enseignement à distance, le guidage visuel des étudiants et leur réaction à l’introduction de pauses et de mouvements de l’enseignant. « Cela améliore de façon très significative l’apprentissage », rapporte-t-il.

Plus inattendu, il travaille avec la faculté de médecine de l’Université de Montpellier ! « J’étudie le rôle de la main dans l’apprentissage de l’anatomie : est-ce important de dessiner quand on apprend ? est-ce important pour les étudiants en médecine de voir l’enseignant qui dessine ? »

Médiation : « Un groupe de travail pour aider à s’adapter au confinement basé sur des résultats de recherche »

« La recherche et la médiation sont très liés dans ma pratique professionnelle : mon sujet de recherche est la pédagogie et par ailleurs j’enseigne et suis conseiller auprès de plusieurs instances à ce sujet », explique André Tricot.

En effet, faire de la médiation sur ses travaux est un des enjeux clés pour un chercheur. Et pour l’expert en psychologie cognitive, cela passe par des ouvrages, articles et participations à des colloques scientifiques (plus de 120 !).

Autre exemple concret, au début du confinement, il fait partie d’un groupe de travail pour accompagner ses collègues à l’Université Paul Valéry Montpellier 3 à s’adapter en utilisant ses résultats de recherche.

Sa vision de l’enseignement en France

Interrogé sur les pratiques enseignantes dans le temps, André Tricot parle d’une évolution « très importante et très positive ».

« De façon très majoritaire, si je compare quand j’étais étudiant et aujourd’hui, si les cours étaient passionnants sur le fond, la mise en œuvre était assez limitée, aujourd’hui il y a beaucoup plus d’interactions, de variété, de supports. Plus de respect pour les étudiants également. »

La formation des enseignants a, elle aussi, évolué. « Chez les enseignants de premier et de second degré, la formation initiale systématique dure deux ans. Alors que dans le supérieur, la formation que j’ai eue ne durait que 60 heures - mais elle au moins elle était obligatoire. Au début des années 2010, elle est devenue facultative », expose-t-il. Une formation à nouveau obligatoire pendant l’année de stage des maîtres de conférences, depuis 2018.

Place du numérique

La vision du numérique dans l’enseignement s’est également modifiée :

«  On a connu l’époque, au début des années 90, 2000 où on pensait que le numérique allait changer les choses, se remémore André Tricot. Aujourd’hui, cette idée n’est plus répandue et on appréhende le numérique non pas comme une solution mais bien un outil qui peut être formidable… mais qui n’est qu’au service de la pédagogie ! C’est la pédagogie qui est au cœur de la conception des enseignements et qui détermine quels outils utiliser en fonction de ce qui est le plus adapté ».

Les principaux freins à l’appropriation des savoirs pédagogiques

À l’heure actuelle, si la recherche en ingénierie pédagogique est florissante, plusieurs freins persistent. « Beaucoup d’enseignants-chercheurs ont pour passion première la recherche. C’est en outre par cette voie qu’ils vont faire carrière. Or, il est difficile de consacrer beaucoup de temps et d’énergie à une activité considérée comme secondaire. Dans les enquêtes menées à ce sujet, nous nous sommes néanmoins rendu compte que l’activité de recherche pouvait être très mal vécue lorsque des papiers étaient rejetés, par exemple. Alors que l’activité enseignante peut être très gratifiante ! Revoir d’anciens étudiants pour qui on a joué un rôle dans leur carrière est très touchant. »

10 à 20 % d’enseignants portés sur l’enseignement

Mais alors, comment changer cette dynamique ? Par la formation, notamment. « Lorsqu’on fait une formation à ce sujet, avec initialement 10 à 20 % d’enseignants portés sur l’enseignement, on touche 50 % des participants. » Mais aussi grâce aux congés pédagogiques ou d’autres formes de «  soutiens financiers réels pour des projets pédagogiques », notamment en prenant en compte cette activité dans l’évaluation des enseignants-chercheurs.

« Quand j’ai commencé à intervenir en formation universitaire, certains s’opposaient à cette approche scientifique de la pédagogique, maintenant il est communément admis que la pédagogie est une matière comme les autres. On peut invalider les croyances, ou au moins essayer », positive André Tricot.

« Lutter contre les croyances pédagogiques erronées »

Les Neurosciences en éducation, l’un des ouvrages de la collection Mythes et réalités - © Retz
Les Neurosciences en éducation, l’un des ouvrages de la collection Mythes et réalités - © Retz

Matière qui a dû s’imposer comme véritablement fondée scientifiquement ces 20 dernières années, la pédagogie reste encore l’objet de beaucoup d’idées reçues.

« Lutter contre les croyances pédagogiques erronées fait partie intégrante de mon activité. J’ai créé une collection auprès de l’éditeur Retz « Mythes et réalités » pour lutter contre les légendes urbaines de la pédagogie. Sur le style d’apprentissage des étudiants, la pédagogie par projets, les digital natives : il y a beaucoup de choses erronées en pédagogie qui persistent. C’est le rôle des chercheurs de lutter contre cela et de partager l’état actuel des connaissances sur un sujet », rapporte-t-il.

Les 3 questions pour aller plus loin

[1] Franck Amadieu, André Tricot, Apprendre avec le numérique : mythes et réalités, Retz, 2014

*Le DESS est un ancien diplôme équivalent d’un master 2 orienté professionnel.

**Diplôme d’études approfondies, l’équivalent d’un master 2 orienté recherche.