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Personnalités de la pédagogie : Christelle Lison, figure des sciences de l’éducation en francophonie

Par Marine Dessaux | Le | Pédagogie

Professeure en pédagogie de l’Université de Sherbrooke au Canada, Christelle Lison est une figure reconnue dans le monde francophone pour son expertise. Elle travaille d’ailleurs régulièrement auprès des établissements et des institutions du supérieur en France. Portrait.

En pédagogie, « nous devons accepter d’être sur des sables mouvants », dit Christelle Lison. - © Pxhere / Mohamed Hassan
En pédagogie, « nous devons accepter d’être sur des sables mouvants », dit Christelle Lison. - © Pxhere / Mohamed Hassan

Un parcours marqué par les sciences de l’éducation et la psychologie…

Formée en sciences de l’éducation et en psychologie, Christelle Lison a suivi la majeure partie de ses études, de la licence au diplôme d’études approfondies (DEA), à l’Université catholique de Louvain en Belgique, de 1997 à 2006.

Christelle Lison est impliquée dans de nombreux projets pédagogiques en France - © D.R.
Christelle Lison est impliquée dans de nombreux projets pédagogiques en France - © D.R.

«  Je me suis spécialisée dans la formation des enseignants du primaire, dans un premier temps. J’avais un intérêt déjà marqué pour les comparaisons internationales, les systèmes de formation et plus spécifiquement en psychologie de l’apprentissage et en formation des adultes en retour aux études », rapporte l’enseignante-chercheuse.

Elle complète un doctorat en éducation à l’Université de Sherbrooke au Canada en 2011 et continue à se former par des microprogrammes (en pédagogie de l’enseignement supérieur, en management), notamment à l’Université de Sherbrooke et à l’Université Laval.

Ses champs de spécialité ? « L’innovation, la pédagogie active… Ce qui m’intéresse par ailleurs est le côté très humain de la construction des compétences, de donner l’envie aux personnes d’apprendre. On ne peut pas ‘faire apprendre’, mais on peut mettre en place les meilleures conditions pour. »

… et de nombreuses implications dans des projets liés à la pédagogie

Elle endosse aujourd’hui plusieurs rôles : celui de professeure titulaire au sein du département de pédagogie de l’Université de Sherbrooke, mais aussi celui de présidente de l’Association internationale de pédagogie universitaire depuis 2018.

L’experte en pédagogie multiplie par ailleurs les interventions sur son champ de spécialité, notamment en participant depuis 2017 au jury des prix Passion Enseignement et Pédagogie dans le Supérieur (Peps), un concours organisé par le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation récompensant les initiatives pédagogiques ; ou en s’impliquant comme rédactrice en chef de la revue internationale de la pédagogie de l’enseignement supérieur depuis 2016.

Collaborer avec les établissements du Québec, de France et de Belgique

Bien qu’exerçant au Québec, Christelle Lison est très impliquée auprès des établissements du monde francophone, en France et en Belgique. « J’accompagne actuellement beaucoup de projets pédagogiques qui ont bénéficié du Programme d’investissements d’avenir (PIA), sur la formation des enseignants ou encore au sein du projet Aspie-friendly, qui vise à améliorer l’inclusion des étudiants autistes. »

Son implication dans la recherche a également pris des tournures internationales avec un projet de recherche comparative entre France, Belgique et Québec sur l’enseignement supérieur. Plus récemment, Christelle Lison s’est penchée, avec la chercheuse Joëlle Demougeot-Lebel, sur l’analyse des dispositifs de développement professionnel pédagogique des nouveaux maitres de conférences, au sein de 41 établissements répondants.

Je me déplaçais entre deux et quatre fois par mois en France.

Sa carrière implique ainsi des déplacements des deux côtés de l’Atlantique… une réalité affectée par la crise Covid-19. « Avant je me déplaçais entre deux et quatre fois par mois en France. À Lyon, Dijon, Tour, Nantes ou encore Strasbourg… J’ai eu la chance d’être professeure invitée et je suis par ailleurs marraine du diplôme universitaire en enseignement supérieur de l’Unistra. Avec la pandémie, tout cela a été ralenti, mais beaucoup de choses virtuelles se sont mises en place, notamment des cycles de conférences - malgré le décalage horaire ! Nous allons aussi essayer de mettre en place des formations à distance. »

Un domaine de spécialité qui a « trouvé ses lettres de noblesse »

« La pédagogie en tant que domaine disciplinaire a vraiment trouvé ses lettres de noblesse », observe Christelle Lison. En effet, elle note, en France, depuis les années 2000 - 2010, de grandes avancées dans le domaine avec notamment la formation obligatoire des nouveaux maitres de conférences et de nouveaux financements via les PIA.

« À Dijon, rattaché à l’Université de Bourgogne, cela fait plus de dix ans qu’il existe un centre d’innovation pédagogique et d’évaluation. Plus récemment, dans le cadre du projet I-Site Future, l’Université Gustave Eiffel a imaginé un Centre d’innovation pédagogique et numérique », pointe-t-elle comme initiatives.

Malgré ces développements positifs, il reste un point clé de la pédagogie à développer, selon l’enseignante-chercheuse : l’encadrement. « Nous n’avons jamais eu autant d’étudiants et on prépare très peu les professeurs à les accompagner. Dans l’enseignement supérieur, il existe des formations à l’enseignement, mais très peu en ce qui touche à l’encadrement. »

Se nourrir des pratiques et des problématiques pour « soulever des questionnements »

« Travailler avec des gens de terrain nourrit mon enseignement et mon espace de recherche », expose Christelle Lison. Et cela enrichit également la médiation de ses travaux de recherche qui prend place au travers de la formation des enseignants. « On ne peut pas parler de pédagogie sans donner des exemples pratiques. Les enseignants sont des praticiens. »

L’enseignante-chercheuse souligne également l’utilité des rencontres pour « soulever des questionnements, se raccrocher aux problématiques ». Et ainsi avoir des pistes concrètes pour ses recherches.

C’est le monde entier qui perd quelque chose

La pédagogie, malgré son importance dans l’enseignement, reste un sujet de recherche qui nécessite une médiation scientifique. « Les enseignants lisent rarement les publications en pédagogie et donc appliquent peu ce qui sort de la recherche. Or, si personne ne s’en saisit, c’est le monde entier qui perd quelque chose. Le transfert de connaissances fait donc partie de notre rôle de chercheur. »

Quelle évolution des pratiques des enseignants ?

« Si on regarde les vingt dernières années, même dans le primaire, le secondaire et dans la formation continue, les enseignants ont beaucoup évolué dans leurs pratiques. Les services d’appui universitaires sont des environnements capacitants pour l’accompagnement et la formation, parfois individuellement, parfois en groupe », analyse Christelle Lison.

On va manger l’éléphant une bouchée à la fois !

Sur la formation, elle souligne des formations porteuses pour les enseignants. « Mais on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif ! Ceux qui ne veulent pas y aller, on peut tout faire, ils n’iront pas », nuance la professeure. Pour autant, elle reste positive sur les évolutions des compétences pédagogiques. « Il faut accepter que ça prenne du temps, on va manger l’éléphant une bouchée à la fois ! »

« En pédagogie, je suis dubitative face aux conclusions trop définitives »

Si elle ne note pas de désaccord majeur avec des collègues sur leur approche de la pédagogie, Christelle Lison reste néanmoins prudente quant aux discours expéditifs.

« Certains chercheurs, que je respecte énormément, obtiennent des résultats qui les amènent à dire que l’enseignement à distance ne marche pas ou encore que l’approche par compétences fonctionne d’office. Pour qui ? Dans quel sens ? Je suis dubitative face aux conclusions trop définitives. Il faut s’accorder du temps : la science n’est pas statique, la vision de l’enseignement a beaucoup évolué ces dernières années. Et nous devons accepter d’être sur des sables mouvants. » 

Dans le scolaire et le supérieur, une problématique d’égalité sociale

Du scolaire au supérieur, Christelle Lison souligne particulièrement « une inégalité sociale, qui commence dès le primaire ».

« Les enseignants qui interviennent dans les zones prioritaires sont souvent les moins formés, ce sont les établissements les plus difficiles et, paradoxalement, ce n’est pas là qu’on envoie ceux qui ont le plus d’expérience », remarque-t-elle.

Néanmoins, le primaire et le secondaire visent à la réussite du plus grand nombre. « Or, dans l’enseignement supérieur, on va se séparer des deux tiers des étudiants. L’enseignement supérieur n’est pas non plus un milieu très égalitaire », regrette-t-elle.

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