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Personnalités de la pédagogie : Roland Goigoux, dépasser le dogmatisme pour s’adapter à l’enseignant

Par Marine Dessaux | Le | Pédagogie

Professeur émérite des universités, ancien directeur du laboratoire de recherche sur l’éducation à l’Université Clermont-Auvergne “Acté”, Roland Goigoux est une figure reconnue de la pédagogie dans le primaire et spécialiste de l’impact du travail des enseignants sur l’apprentissage des élèves. Il défend une vision de la pédagogie ouverte : qui ne se contente pas de suivre un modèle, mais adaptable à la situation et à l’individu.

« Il faut prendre en compte la manière dont pensent et agissent les enseignants », dit Roland Goigoux. - © Pixabay
« Il faut prendre en compte la manière dont pensent et agissent les enseignants », dit Roland Goigoux. - © Pixabay

Une première vie d’instituteur puis d’enseignant-chercheur

Formé en sciences de l’éducation, Roland Goigoux a suivi son cursus à l’Université Paris 4 (aujourd’hui Sorbonne Université) entre 1987 et 1993. Désormais reconnu pour ses travaux scientifiques, c’est au plus près des élèves qu’il a commencé sa carrière. « J’ai été instituteur pendant dix ans. Cela a eu un impact fort sur la considération que je porte aux enseignants ainsi que sur les collaborations mises en place avec eux. Ce métier, je le trouve admirable. Ce sont les enseignants qui ont une connaissance première des élèves et ce sont leurs questionnements professionnels qui ont nourri mes travaux de recherche », témoigne-t-il.

Roland Goigoux a été instituteur pendant une dizaine d’années. - © D.R.
Roland Goigoux a été instituteur pendant une dizaine d’années. - © D.R.

L’instituteur reprend le chemin des études et soutient une thèse en sciences de l’éducation à l’Université Paris-Descartes (aujourd’hui intégrée à Université de Paris ) en 1993. Il aborde une thématique qui l’accompagnera tout au long de sa carrière de chercheur : l’apprentissage de la lecture.

Par la suite, Roland Goigoux travaille successivement au sein d’un laboratoire de psychologie du développement (CNRS - Paris-Descartes) et de psychologie ergonomique (CNRS - Paris 8). À partir de 1998 et jusqu’en 2008, il créé et dirige le laboratoire Activité, connaissance, transmission, éducation (Acté), adossé à l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation de Clermont-Auvergne et l’UFR STAPS, à l’Université Clermont-Auvergne. Au cours de sa carrière, il assure notamment la formation de formateurs au sein de l’Éducation nationale.

Travaux de recherche et co-conception d’outils pour les enseignants

Aujourd’hui à la retraite, Roland Goigoux est reconnu par ses pairs pour ses travaux de recherche sur les apprentissages langagiers des élèves, en maternelle et élémentaire. Il analyse par ailleurs le travail des enseignants, notamment dans l’influence qu’elle exerce sur l’apprentissage des élèves.

Les droits d’auteurs de la collection sont reversés à des ONG spécialisées dans la scolarisation. - © Retz
Les droits d’auteurs de la collection sont reversés à des ONG spécialisées dans la scolarisation. - © Retz

« Ma spécialité de recherche relève de l’Educational Design, précise-t-il, c’est-à-dire de la conception scientifique d’outils professionnels. Une conception qui s’organise en lien avec les enseignants, en adoptant une méthodologie qui fait l’objet par la suite d’une publication. C’est la double validation, par les enseignants sur le terrain et par les pairs dans le champ universitaire, qui est à l’origine de la reconnaissance dont bénéficient mes travaux. »

Dernier travail en date : la conception d’outils à destination des enseignants de maternelle pour la compréhension de texte et la capacité à raconter. Un projet conçu en trois ans avec Sylvie Cèbe, maitresse de conférences en sciences de l’éducation, puis testé à grande échelle trois années supplémentaires. En résulte la collection Narramus, publiée aux éditions Retz.

« Pour une édition et une distribution de qualité, nous passons par un éditeur privé, mais ces ouvrages sont le fruit d’un travail universitaire. Ils se sont déjà vendus à 160 000 exemplaires, un achat fait par les maîtres personnellement, preuve de l’intérêt porté à ces outils », souligne le professeur émérite.

Didactique : prendre en compte la situation et l’enseignant

Alors que les sciences cognitives mettent en avant des pratiques pédagogiques basées sur l’étude des mécanismes cognitifs et neuronaux des apprenants, Roland Goigoux défend une approche des sciences de l’éducation qui prend aussi en compte les caractéristiques des enseignants.

En pédagogie, l’éclectisme est primordial

« Pour réaliser un scénario didactique, il faut être au clair non seulement sur le fonctionnement cognitif de l’élève, mais aussi sur ce qui le touche au plan émotionnel. Même si les cognitivistes le négligent, il faut aussi prendre en compte la manière dont pensent et agissent les enseignants. Il ne faut pas considérer des résultats de recherche de manière isolée. En pédagogie, l’éclectisme est primordial, on circule dans des univers scientifiques connexes, on articule des matières très hétérogènes », détaille l’ancien directeur de laboratoire.

Il soutient une logique de compromis qui met à disposition un outillage le plus ergonomique possible à destination des enseignants, un outillage « utile, utilisable, mais aussi acceptable pour eux ».

Par ailleurs, Roland Goigoux insiste sur l’importance d’adapter son enseignement à la situation. « Il existe plusieurs démarches pédagogiques, qui ne sont pas bonnes ou mauvaises en soi. Toutes ont des avantages et des inconvénients : il faut chercher celles qui sont en adéquation avec l’objectif poursuivi. C’est tout le talent de l’enseignant de trouver la meilleure démarche pédagogique, celle qui sera pertinente en fonction du contenu, de la situation, de l’âge des élèves, etc. »

Des tendances pédagogiques … politiques ?

« Un débat secoue le monde de l’enseignement : faut-il demander aux élèves d’être actifs, les laisser tâtonner et découvrir les savoirs par eux-mêmes ou faut-il les guider étroitement, modeler leurs conduites et leur montrer ce qu’ils doivent faire et retenir ? », résume Roland Goigoux.

Le chercheur suggère d’introduire une troisième voie dans ce débat : « une démarche de résolution guidée qui combine une forte mise en activité des élèves et une planification très structurée de l’enseignement ». Les outils qu’il propose relèvent de cette perspective intégrative.

Roland Goigoux souhaite ainsi dépasser les clivages entre « les modes pédagogiques » qui se succèdent, et qui sont, selon lui, le plus souvent portés par des idéologies ou des calculs politiques que par des données scientifiques, sur l’apprentissage de la lecture notamment.

L’enseignant-chercheur est ferme sur ce point : « Il faut dire non à un dogmatisme pédagogique, mais savoir chercher le meilleur de chacune des démarches en fonction des objectifs poursuivis. »

Controverses

N’hésitant pas à prendre publiquement position, notamment en reprochant au ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, une utilisation tronquée des données de la recherche, Roland Goigoux constate que le ministère ne mentionne plus son nom dans les publications officielles et ne l’invite plus à donner de conférences devant les enseignants. Dans son blog, il soupçonne être « blacklisté » tandis qu’un confrère se voit obligé d’annuler son invitation suite aux consignes de son rectorat.

Un décalage entre les discours du ministre et les données scientifiques

« Jean-Michel Blanquer n’a pas supporté que je dise publiquement qu’il fait un usage caricatural des données de recherche et passe sous silence ce qui l’encombre. Que ce soit sur l’apprentissage de la lecture ou sur le dédoublement des CP-CE1 en éducation prioritaire, il y a un décalage entre les discours du ministre et les données scientifiques », estime le professeur émérite des universités.

Il considère comme « une responsabilité éthique des chercheurs » que de prendre la parole lorsque les données de la recherche sont utilisées de manière erronée dans un discours public.  

En France, une recherche « ni gouvernée, ni orientée, ni financée à la hauteur du pays »

Alors que sa carrière touche à sa fin, Roland Goigoux juge « la recherche française en éducation, et sur l’enseignement en particulier, très faible ». Il estime que rien n’a changé depuis le rapport « Pour un programme stratégique de recherche en éducation » d’Antoine Prost publié en juillet 2001 qui met en évidence un manque de coordination et d’évaluation des recherches.

« Il y a énormément de gens intelligents qui travaillent beaucoup, mais de manière non concertée, sur des objets de recherche éclatés. Il y a peu de programmes de recherche structurés et structurants, peu de cumul de connaissances et un manque de rigueur dans la construction des résultats. En somme, la recherche sur l’enseignement n’est ni gouvernée, ni orientée, ni financée à la hauteur des ambitions de notre pays. » 

« L’absence de résultats probants renforce l’importance des discours idéologiques », ajoute Roland Goigoux. Car, si les chercheurs compétents ne manquent pas, c’est sur la construction de programmes et de coopération à grande échelle que le bât blesse.

Seule la duplication des études et la recherche de convergences permettent de valider les données

L’enseignant-chercheur illustre ce bilan d’un exemple : « En 2016, nous avons réalisé une étude ‘Lire- écrire au CP’ sur tout le territoire national, des collègues de treize laboratoires universitaires y ont participé. Elle est apparue comme exceptionnelle, dans les deux sens du terme : de grande qualité et extrêmement rare. Ce travail qualitatif et quantitatif à grande échelle n’avait jamais existé et il n’a pas été réitéré, car ce n’est pas encore dans notre culture de monter un chantier aussi complexe. Or, c’est la base de la recherche scientifique : seules la duplication des études et la recherche de convergences permettent de valider les données. » 

Deux questions pour aller plus loin