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7 conseils pour mettre en place l’approche par compétence et son évaluation dans le supérieur

Par Marine Dessaux | Le | Pédagogie

L’approche par compétences s’immisce dans les établissements du supérieur, mais reste complexe à mettre en œuvre, notamment face à de grandes cohortes. Deux enseignants-chercheurs ont partagé leurs conseils lors d’un atelier organisé le 22 septembre, à l’occasion d’un séminaire de mi-parcours du projet Demoes de l’Université Picardie-Jules Verne.

Il ne faut pas définir plus de quatre compétences, conseille Stéphane Charvet. - © Freepil/8photo
Il ne faut pas définir plus de quatre compétences, conseille Stéphane Charvet. - © Freepil/8photo

Campus Matin recense sept conseils pour mettre en œuvre l’approche par compétence et son évaluation. Ils sont tirés de l’expérience d’Alexis Potelle, directeur du département électronique, énergie électrique et automatique de l’UFR des sciences de l’Université Picardie-Jules Verne (UPJV), et Stéphane Charvet, directeur adjoint de l’UFR des sciences du même établissement.

Tous deux se sont penchés sur le sujet dans le cadre de l’appel à projets « Nouveaux cursus à l’université » du troisième Programme d’investissements d’avenir, porté par l’Agence nationale pour la recherche. Les universités de Picardie-Jules Verne, d’Artois et du Littoral côte d’opale ont obtenu 12,5 millions d’euros pour le projet « Licence compétences en réseau », financé de 2019 à 2029.

1. S’appuyer sur la méthode Tardif

Le travail du québécois Jacques Tardif sur les compétences est reconnu et pourrait inspirer l’évolution du Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) qui doit avoir lieu fin 2024, souffle Alexis Potelle.

Pour se former, les instigateurs de la « Licence et compétences en réseau », ont fait appel à Marianne Poumay et François Georges, deux enseignants-chercheurs du Laboratoire de soutien aux synergies éducation technologies de l’Université de Liège. Ils ont notamment été partenaires de l’Association des directeurs des instituts universitaires de technologie (Adiut) pour accompagner la montée en compétences des nouveaux bachelors universitaires de technologie (BUT, qui remplacent les DUT).

À la recherche d’une ressource pour vous lancer dans l’approche par compétences et son évaluation ? L’ouvrage des deux pédagogues belges Comment mettre en œuvre une approche par compétences dans le supérieur (2022, aux éditions DeBoeck) est un bon départ. Il aborde la compétence au sens de Jacques Tardif : un savoir agir complexe qui s’acquiert en réalisant des actions contextualisées dans des situations d’apprentissage et d’évaluation.

2. Définir un référentiel de quatre compétences maximum

« Nous nous appuyons sur un référentiel de compétences qui nous a pris deux ans à définir », indique Stéphane Charvet. Ce référentiel devra guider la structure de formation et le développement des compétences sur plusieurs niveaux. Les enseignants-chercheurs conseillent de définir trois à quatre compétences par enseignement maximum : les multiplier complexifierait l’évaluation.

Un travail qui reste difficile puisque « dans certains choix d’options, il manque des compétences parmi celles définies par le RNCP ».

3. Introduire l’approche par compétences lors d’un séminaire

La notion d’approche par compétences est introduite dans un séminaire de deux heures en début de semestre. Il permet d’expliquer aux étudiants comment ils seront évalués.

« Il ne faut jamais être seul : à deux ou trois enseignants, il y a moins de monotonie dans le discours. L’objectif est de faire prendre conscience aux étudiants qu’on peut s’approprier les compétences en se faisant plaisir. »

Il s’agit aussi de faire comprendre aux étudiants la complexité que représente une compétence !

4. Se calquer sur le monde du travail

L’Université Picardie-Jules Verne fait partie des lauréats de l’AAP « Nouveaux cursus à l’université » pour le projet « Licence compétences en réseau ». - © Université de Picardie Jules Verne
L’Université Picardie-Jules Verne fait partie des lauréats de l’AAP « Nouveaux cursus à l’université » pour le projet « Licence compétences en réseau ». - © Université de Picardie Jules Verne

Les situations d’apprentissage et d’évaluation doivent être les plus proches possibles du futur métier des étudiants.

Pour cela les situations doivent être le plus « authentique possible ». L’assiduité, par exemple, est prise en compte pour favoriser une attitude de professionnel. Les enseignants demandent également de faire des « essais-erreurs » : via un logiciel qui simule erreurs et réussites lors de la construction d’une carte électronique. L’étudiant doit ensuite prendre du recul et analyser l’expérience.

Les choix d’orientation, cependant, « restent vastes en licence, mais en master c’est déjà plus défini », remarque Alexis Potelle. Une approche qui a également des limites dans certaines matières, comme les mathématiques.

5. Favoriser un portfolio simple

C’est au sein d’un portfolio que les étudiants conserveront la trace de leurs apprentissages et devront collecter les preuves de leur acquisition d’une compétence. « Il doit rester simple pour pouvoir être transmis aux collègues », prévient Alexis Potelle.

L’étudiant devra mettre à jour le dossier en continu. La régularité pourra être suivie par l’enseignant si ce travail est digitalisé, via un outil comme Karuta d’HEC Montréal, qui est disponible en open source.

6. Pour évaluer de grandes cohortes, ne pas chercher la perfection

Concrètement, l’évaluation d’une cohorte de 200 étudiants en sciences de l’ingénieur a été testée pour une des trois compétences définies. « Nous nous disons que si nous le faisons pour 200, nous devrions y arriver pour 1000 », se projette Stéphane Charvet. Pour simplifier le travail de correction, une astuce consiste à faire travailler les étudiants en binôme sur le portfolio.

« Ce n’est pas un portfolio au sens strict, car il n’est pas individuel, mais si on attend que tout soit parfait, on ne se lancera jamais », estime Alexis Potelle. L’évaluation repose sur une présentation du portfolio suivant une trame découpée en quatre parties : avec des parties individuelles et communes. Enfin, pour proposer une double chance, la présentation orale est complétée d’une épreuve écrite.

Si on attend que tout soit parfait, on ne se lancera jamais.

Dans l’idéal, les évaluations notées sur 20 devraient être remplacées par une notion d’acquis/non-acquis. Encore une fois, dans la pratique, il a fallu faire autrement.

« Il faut pouvoir classer nos étudiants pour la sélection par la suite (par exemple pour l’entrée en école d’ingénieurs) », dit Stéphane Charvet. Une compensation est également permise entre les compétences, avec un minimum de 8/20 dans chacune pour valider le semestre.

Cette façon de faire, bien que perfectible, montre des avantages : « Nous avons plus ou très peu de décrocheurs. Les étudiants ne sont pas plus compétents, mais plus motivés pour apprendre », note l’enseignant-chercheur.

Avant une évaluation aussi complexe, commencer par noter le travail en autonomie dans une salle, avec une personne en encadrement, est un bon départ.

7. Convaincre les équipes pédagogiques du bien-fondé de cette transformation

Pour essaimer l’approche par compétences, les premiers qui doivent être convaincus sont les enseignants. Ils devront s’approprier cette démarche et transformer leurs pratiques.

Pour les embarquer, Stéphane Charvet et Alexis Potelle ont ouvert les portes de leurs séminaires, travaux dirigés et de leurs évaluations aux collègues, qui viennent en simple observateurs ou comme intervenants.

« Nous avons commencé avec trois collègues jusqu’à sept. Il ne faut pas hésiter à les informer, à les faire participer », conseillent-ils.