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Numérique et VR : quels défis pour la formation en santé ?

Par Marine Dessaux | Le | Pédagogie

Former 500 000 élèves et 10 % des professionnels de santé au numérique d’ici 2027 : tel est l’objectif ambitieux de la délégation ministérielle au numérique en santé. L’Université Paris Cité et d’autres acteurs innovent dans les méthodes d’apprentissage, avec l’intégration de la réalité virtuelle et des partenariats avec des entreprises technologiques.

Les outils immersifs permettraient une baisse de la charge mentale des professionnels de santé. - © Freepik
Les outils immersifs permettraient une baisse de la charge mentale des professionnels de santé. - © Freepik

Former au numérique 500 000 élèves en santé dans les formations initiales du sanitaire, social et médico-social et 10 % des acteurs de santé en activité d’ici 2027 : c’est l’objectif qu’affiche la Délégation ministérielle au numérique en santé (DNS) dans sa feuille de route 2023-2027.

Ce qui revient à former « environ 2,5 millions de professionnels », estime François Couraud, conseiller scientifique auprès de la Direction générale pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle (Dgesip).

Prendre le virage de l’immersif dans la formation

L’Université Paris Cité organisait une journée « Innovations pédagogiques, le virage immersif », le 21 juin 2024. - © Marie Dagman
L’Université Paris Cité organisait une journée « Innovations pédagogiques, le virage immersif », le 21 juin 2024. - © Marie Dagman

En plus d’être une compétence indispensable pour les acteurs de santé, le numérique est un allié de taille pour la formation. L’Université Paris Cité compte bien tirer pleinement profit de ce que peuvent apporter les technologies d’apprentissage innovantes. L’établissement a affiché son intérêt pour la question lors de sa journée « Innovations pédagogiques, le virage immersif », le 21 juin 2024.

« Nous devons adapter nos usages à l’évolution des pratiques, notamment par l’évolution des formations nécessaires, prendre en compte les avancées de la recherche en sciences de l’éducation et les nouvelles connaissances sur les mécanismes de l’apprentissage », estime Édouard Kaminski, président de l’Université Paris Cité.

Parmi les nouveaux outils digitaux, la réalité virtuelle (VR) est en passe de devenir un incontournable en médecine. « Ces techniques immersives ont en effet le potentiel inégalé de rendre l’apprentissage plus interactif et donc plus attractif, de promouvoir des approches plus personnalisées et d’activer de nouveaux ressorts de motivation pour le client », poursuit Édouard Kaminski, qui évoque un enjeu de formation continue des enseignants.

De premiers financements et outils définis par l’État

Pour accomplir les ambitions de formation en santé numérique, « cinq compétences socles ont été définies : données de santé, cybersécurité, communication, outils numériques, télésanté. En outre, formation initiale et continue pourront être couplées », poursuit François Couraud.

Le volet numérique en santé de l’appel à manifestation Compétences et métiers d’avenir (AMI CMA) a permis de financer, à hauteur de 51,9 millions d’euros en 2022 pour la première saison, 24 projets et de consortiums centrés autour des instituts de santé. L’initiative DigiHealth de l’Université Paris Cité est chiffrée à 12,45 millions d’euros dont 4 millions issus de l’AMI CMA.

Le ministère de la santé et de la prévention a également élaboré un outil d’évaluation : Pix+ professionnels de santé.

Collaborer avec les start-up et entreprises pour des contenus innovants

Une conférence s’interrogeait sur la façon dont les start-up et entreprises envisagent le futur numérique de la formation. - © M. Dessaux/Campus Matin
Une conférence s’interrogeait sur la façon dont les start-up et entreprises envisagent le futur numérique de la formation. - © M. Dessaux/Campus Matin

« Un projet gagnant entre entreprise et enseignement supérieur a plusieurs composantes : des contenus, du matériel et des utilisateurs formés. Dans la fonction publique, les moyens sont très fléchés sur le matériel, mais, sans formation, ce dernier finit dans le placard », prévient Fabrice Barbin, fondateur et dirigeant de Synergiz, entreprise spécialisée dans la réalité mixte et la technologie HoloLens.

Ce type de collaboration bénéficie aux établissements comme aux entreprises : « Nous ne sommes pas les sachants, nous ne maîtrisons pas les contenus. Il y a une vraie compatibilité privé-public sur la connaissance », souligne Fabrice Barbin.

Pour concevoir des formations en santé qui font intervenir le numérique, « une des difficultés est de créer du contenu intuitif », estime Jennifer Gangnard, responsable du nouveau modèle d’interaction de Sanofi. C’est là qu’interviennent les ingénieurs pédagogiques, à la fois au fait des outils et experts des sciences de l’éducation.

La réalité virtuelle synonyme d’addiction et de perte de compétences ?

En réalité virtuelle mixte, des informations supplémentaires s’affichent sur l’écran du casque et se superposent au monde réel. Ce coup de pouce ne risque-t-il pas de rendre difficile de se passer du digital pour pratiquer ?

La réalité mixte permet notamment de s’entraîner à réaliser une opération chirurgicale. - © Marie Dagman
La réalité mixte permet notamment de s’entraîner à réaliser une opération chirurgicale. - © Marie Dagman

« Même si tout va plus vite avec ces solutions, nos utilisateurs disent qu’il y a une baisse de la charge mentale. L’information n’a plus besoin d’être mémorisée. Il y a des risques d’addiction, mais avant tout une baisse de charge mentale », indique Stan Larroque, fondateur et PDG de Lynx, qui édite un casque de réalité virtuelle mixte.

Ces nouvelles technologies, en changeant les façons de pratiquer, s’accompagneront-elles d’une perte de compétences ? « Non, je pense que nous allons déplacer ces compétences. Les qualités d’un bon chirurgien ne sont plus exactement les mêmes, les façons de les sélectionner vont sans doute changer », se projette Guillaume Kerboul, directeur jumeaux virtuels de Dassault Systems.

Un entraînement digital qui n’éclipse pas le présentiel

Même avec la VR la plus poussée pour s’entraîner aux gestes techniques, de chirurgie par exemple, l’entraînement physique reste toujours complémentaire. « Le mentoring ne peut pas être que télémentoring. Il ne faut pas opposer, mais utiliser ces deux outils. Notamment pour pouvoir ressentir le stress dans le bloc opératoire des étudiants, le présentiel est nécessaire », déclare Luc Soler, président de Visible patient, laboratoire en ligne qui modélise les organes en 3 D.

Dans une société avec un grand besoin de flexibilité, « la réalité virtuelle lie le monde physique et digital. Le digital permet de répéter des gestuelles, ce qui favorise un apprentissage plus rigoureux sur ce type d’activité », décrit Morgan Monnet, responsable grands comptes Europe, Moyen-Orient et Afrique pour la réalité alternative (VR, AR, etc.) de Meta.

Faut-il une certification spécifique au numérique en santé ?

Le numérique doit-il être intégré pleinement dans un cursus en santé ou bien faire l’objet d’un module ou d’une certification à part ?

Fabrice Brunet, PDG du Quartier de l’innovation en santé à Montréal (Canada) qui regroupe hospitaliers, universitaires, entreprises ainsi qu’institutions, est en faveur d’une intégration des compétences numériques spécialisées dans l’ensemble du diplôme.

Les formations doivent être vues dans une perspective d’utilité à la personne.

« Cela devient compliqué si les technologies ne font pas partie d’un diplôme global, on ne pourra pas voir ni mesurer les changements. Je me suis rendu dans une université privée italienne qui proposait un certificat complémentaire non obligatoire que peu d’étudiants avaient passé. Et pour ceux qui le faisaient, cela ne changeait rien dans leur carrière. Les formations ne sont pas reconnues et doivent être vues dans perspective d’utilité à la personne. »

Anik de Saint-Hilaire, en charge des affaires académiques pour e-Concordia (Concordia University), défend également une vision plus globale : « Nous avons rendu obligatoires nos modules pour démystifier le numérique. »

François Couraud nuance : « Il faut distinguer les compétences numériques de base que doit posséder tout professionnel de santé, et les compétences plus spécifiques. Les premières sont introduites dans les diplômes, mais pour la formation continue on peut imaginer des formations dédiées. Pour les nouvelles compétences plus spécialisées, nous réfléchissons à la Dgesip à la façon de les introduire dans les parcours. Faut-il les intégrer dans les 44 maquettes pédagogiques concernées, sachant qu’elles évoluent très rapidement ? Ou faut-il des formations transversales ? Si oui, comment les certifier ? »

En 2028, l’Université Paris Cité proposera une gamme étendue de formations initiales et continues en santé numérique. - © M. Dessaux/Campus Matin
En 2028, l’Université Paris Cité proposera une gamme étendue de formations initiales et continues en santé numérique. - © M. Dessaux/Campus Matin

Les pistes pour inciter les professionnels à se former

Tous les professionnels inscrits à l’Ordre des médecins ont une obligation de développement professionnel continu. Cependant, parmi les activités de santé demandées, les actions concernant le numérique représentent « moins de 2 % », rapporte François Couraud.

Il poursuit : « Ce chiffre montre la difficulté de la formation professionnelle. Nous espérons qu’il y aurait un effet boule de neige. » Plusieurs pistes permettent de développer la formation tout au long de la vie.

Former à former

Première approche plébiscitée par l’École en intelligence artificielle appliquée à la santé du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (dont le lancement en 2018 a été piloté par Fabrice Brunet, alors PDG du CHUM) : revoir en profondeur la formation pour y apprendre à apprendre.

« Notre pratique médicale est de plus en plus trans ou multidisciplinaire, les outils vont devoir suivre cela, observe le docteur. Aujourd’hui, il faut plus enseigner à apprendre pendant toute sa carrière que de transmettre des compétences sur un nombre d’années définies. Autrement, que fera-t-on des 90 % d’acteurs en santé non formés ? »

Rendre la formation obligatoire pour certaines fonctions

Certaines fonctions dans le domaine du numérique en santé requièrent une formation spécifique. Par exemple pour les professionnels autorisés à manipuler des données de santé médicale.

Simplifier les outils

« Nous travaillons pour réduire les irritants, cite par ailleurs Aymeric Perchant, coordinateur national de la Délégation ministérielle au numérique en santé. Il y a beaucoup de choses qui ne devraient pas arriver dans le numérique qu’il faut améliorer pour que les acteurs de santé et du social puissent se concentrer sur ce qu’ils ont vraiment besoin d’apprendre. Les choses doivent être simples, c’est le rôle du logiciel de santé. »

Laisser la place à l’autoformation

Enfin, le plus simple à intégrer dans un emploi du temps chargé reste l’autoformation. « De nombreuses personnes se forment seules et tout un tas de formations ne nécessite pas de diplômes. C’est pourquoi il est important de pouvoir proposer de petits modules accessibles à tous », conclut Aymeric Perchant.