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Reportage à Lille : ils sensibilisent les futurs enseignants à l’innovation pédagogique

Par Marine Dessaux | Le | Pédagogie

Un service d’innovation pédagogique et un fablab : c’est cet objet hybride que Campus Matin a visité, le temps d’une journée. L’équipe, dont la mission première est de former les futurs enseignants à innover dans leurs enseignements, y préparait sa rentrée et déroulait les défis à relever pour l’année universitaire à venir. Reportage.

La part belle est faite au jeu dans ce service d’innovation pédagogique. - © M.D/Campus Matin
La part belle est faite au jeu dans ce service d’innovation pédagogique. - © M.D/Campus Matin

Le campus du site de Villeneuve-d’Ascq de l’Inspé de Lille, qui forme les futurs professeurs des écoles et enseignants du secondaire, semble désert sans ses étudiants, ce mardi 29 août. Et pourtant, en pénétrant dans le bâtiment de la direction, on croise des personnels qui reprennent leurs habitudes de travail et préparent la rentrée.

Par-delà les salles de classe, un grand espace rempli de chaises accueille habituellement les étudiants en pause. Et, niché derrière une cloison vitrée et multicolore, le Minilab est le lieu de repère du service d’innovation pédagogique.

Ce lieu, dont nous vous parlions dans un article sur les fablabs du supérieur, a accueilli 2 000 visiteurs et 180 projets en 2022-2023. Il s’adresse aux étudiants et aux enseignants avec un objectif : les sensibiliser à l’innovation pédagogique et, ponctuellement, accompagner des projets individuels — parfois extérieurs à l’Inspé. Il a également vocation à permettre aux scientifiques de valoriser leurs recherches via la création d’outils pédagogiques.

L’équipe de cinq personnes — pas encore tout à fait au complet puisqu’elle s’apprête à accueillir deux services civiques — se réunit pour la première fois depuis la rentrée et prépare les orientations stratégiques pour l’année à venir.

Celui qui déroule l’ordre du jour est Olivier Lemort, responsable du service innovation pédagogique et de la formation des formateurs de l’Inspé de Lille. Sa définition de l’innovation pédagogique reflète la philosophie du Minilab :

« Ce n’est pas la création, mais l’essaimage. Dès lors que les chercheurs ont trouvé, notre rôle est de répandre. »

Objectif : faire profiter un maximum d’étudiants des équipements

Malgré la situation financière difficile de l’Université de Lille, tutelle de l’Inspé, l’équipe du Minilab est soutenue pour l’achat de nouveaux équipements, avec l’acquisition récente, sur fonds propres, d’une machine pour produire des tapis éducatifs. Alors, il s’agit maintenant de les utiliser le plus possible !

Des séances avec jusqu’à 25 étudiants peuvent être organisées au Minilab - © NT
Des séances avec jusqu’à 25 étudiants peuvent être organisées au Minilab - © NT

Pour cela, le Minilab a décidé de réinventer ses formations « Zestes ». Au nombre d’une vingtaine, elles s’étalaient sur l’année universitaire avec des créneaux et sujets fixes. Désormais, un fonctionnement « à la carte » est préconisé : les thématiques seront recensées dans un catalogue et ce sera aux enseignants ou aux étudiants directement de solliciter des séances.

« Nous ne sommes pas des prestataires de service : nous expliquons, mais ne faisons pas les objets sur commande. Nous allons former et donner des idées pour aller plus loin. L’objectif est de donner envie aux étudiants de créer ! », explique Romain Deledicq, ludopédagogue.

Le plus souvent, les Zestes sont dirigés par des enseignants-chercheurs, le premier de l’année portait sur les ponts entre innovation et recherche. Mais formateurs comme étudiants ne sont pas toujours au courant qu’ils ont accès à cet espace et à ses services. « L’enjeu c’est la communication », remarque Olivier Lemort.

Pour les enseignants, « une bonne interface pour créer » et « aller plus loin »

Pour se faire connaître des enseignants, la méthode la plus directe prévaut : se rendre dans la salle des profs le jour de leur prérentrée ! Le Minilab est également un arrêt automatique lors de l’accueil des nouveaux enseignants et personnels.

« Beaucoup nous contactent suite à cette visite. Le bouche-à-oreille fonctionne aussi : un professeur de mathématiques nous a contactés l’an dernier suite à l’essaimage d’un de nos jeux. Mais nous aimerions aller plus loin, pouvoir nous immiscer ne serait-ce que dix minutes dans la réunion de rentrée des formateurs », projette Olivier Lemort.

Caroline Desombre fait appel au Minilab dans le cadre de ses enseignements. - © Inspé de Lille
Caroline Desombre fait appel au Minilab dans le cadre de ses enseignements. - © Inspé de Lille

Caroline Desombre, directrice adjointe à la recherche et au développement, habituée du Minilab, estime que c’est « une bonne interface pour concrétiser ce dont les enseignants ont besoin ». Dans le cadre de ses enseignements, l’usage de cet espace répond à deux objectifs majeurs : faire découvrir le lieu aux étudiants pour qu’ils puissent l’utiliser après en tant qu’enseignants et leur donner des idées d’innovation pédagogique.

Et pour les plus réticents à utiliser le digital, « le Minilab montre que ce n’est pas seulement avec des outils numériques que nous pouvons innover ». C’est aussi l’opportunité de « faire appel à des professionnels qui nous permettent de nous rendre compte de potentialités dont nous n’avions pas idée, et qui nous font gagner du temps », souligne Caroline Desombre.

Son conseil aux enseignants : « Ouvrir la porte, par curiosité ou par besoin, à des projets qui vous semblent fous ou non aboutis. Et faire confiance à ces professionnels dont on n’imagine pas les compétences. »

Renforcer les liens avec la R&D

Innovation pédagogique et R&D sont réunis au sein d’un même service. La raison d’une telle organisation ? « Les appels à projets valorisent les résultats de recherche qui sont traduits par des outils pédagogiques », répond Caroline Desombre.

Les deux équipes se réunissent trois à quatre fois par an pour échanger sur leurs projets, mais « le pont n’est pas encore fait », reconnaissent Olivier Lemort et Caroline Desombre.

C’est donc l’un des chantiers pour cette année, malgré les fonctionnements et rythmes différents - un temps long pour la recherche et plus spontané du côté du Minilab.

Donner une place centrale au jeu

Le service d’innovation pédagogique est de plus en plus sollicité sur le volet escape game pédagogique, note Olivier Lemort. L’équipe, et plus particulièrement Romain Deledicq dont c’est la spécialité en tant que ludopédagogue, a notamment été contactée par des services de l’Université de Lille.

Olivier Lemort est ingénieur pédagogique de formation. - © NT
Olivier Lemort est ingénieur pédagogique de formation. - © NT

Trois projets seront réalisés au cours de l’année :

  • Un escape game dédié aux thématiques d’insertion professionnelle ou de recherche de stage avec le service universitaire d’accueil et d’information pour l’orientation de l’Université de Lille ;
  • se mettre dans la peau d’un élève allophone pour sensibiliser les formateurs avec le rectorat et une formatrice de l’Inspé ;
  • utiliser l’ENT, un projet interne à l’Inspé.

«  Pour que nous acceptions les sollicitations, il faut que ce soit un projet qui puisse servir aux formateurs ou aux enseignants. Nous précisons également toujours que ce que nous créons nous appartiendra », précise Romain Deledicq.

Comme chaque année, un nouvel escape game disciplinaire sera créé. Le Minilab compte déjà plusieurs énigmes « maison », à réaliser sur place ou sous forme de malettes qui peuvent être envoyés aux enseignants qui en font la demande.

C’est un escape game de français qui sera cette fois imaginé avec un ou plusieurs enseignants.

« Pour les intégrer dans notre processus de création, nous contactons désormais un responsable de la discipline recherchée qui en parle ensuite à ses collègues », explique Romain Deledicq.

Formation et événement autour du jeu

Les compétences de ludopédagogue de Romain Deledicq sont également sollicitées pour enseigner au sein du DU « apprendre par le jeu ». Cette formation accueille une vingtaine d’élèves chaque année, et est accessible par le compte professionnel de formation (CPF).  

Le jeu était d’ailleurs au cœur d’une game jam, un concours de gamification des travaux de recherche sur 48 h, organisée en février 2023. La thématique était l’inclusion éducative, inspirée par le projet « 100 % inclusion » lauréat du Programme d’investissement d’avenir (PIA) 3, porté par l’Université de Picardie Jules Verne et qui associe quatre Inspé et leur académie : Amiens, Caen, Lille et Rouen.

« Une game jam sera à nouveau organisée cette année, nous aimerions pouvoir l’expérimenter auprès d’un plus grand nombre d’étudiants. L’an dernier, elle rassemblait une quarantaine de participants : des étudiants du DU apprendre par le jeu, des bibliothécaires, des membres du secteur éducatif — mais de mois en moins — et, de plus en plus, du privé. »

Chercher l’inspiration en dehors de la sphère éducative

En ludopédagogie, relever les tendances — même en dehors de la sphère éducative — est nécessaire. Après s’être rendu au salon du jeu et de la création LudiNord, Romain Deledicq a visité celui de l’escape game à Lyon, le 11 septembre, et se rendra à celui du jeu à Cannes en février 2024.

« Cette année, l’idée est de se déplacer un peu plus, pourquoi pas envisager d’aller à Educatech expo en novembre, qui réunit les solutions technologiques pour l’éducation ? Voire imaginer une semaine d’échange via Erasmus+ pour étudier la façon de travailler d’un fab lab avec une activité similaire à la nôtre, au Danemark ? », se projette Romain Deledicq.

Les grandes lignes de la feuille de route de rentrée

Au menu de la réunion de rentrée, les rendez-vous de l’équipe sont égrenés : présentation du Minilab aux étudiants, organisation d’une chasse au trésor pour les journées d’intégration… Mais aussi le partage des projets avec le service recherche et auprès du service communication.

« Nous testons cette année un calendrier partagé. L’objectif est de donner une plus grande visibilité sur nos événements à venir, pour mieux travailler ensemble. Cela permettra notamment d’être accompagnés sur ce qui gagnerait à être plus connu », dit Olivier Lemort.

Un point de vigilance : ralentir les partenariats externes pas encore amorcés, car « une grosse activité est prévue pour ce début d’année », alerte le responsable du service innovation pédagogique.

Un lien stratégique avec les responsables de site

Également à l’ordre du jour : rencontrer les nouveaux responsables pédagogiques de site. Ces enseignants, qui bénéficient d’une décharge d’enseignement, sont chargés du fonctionnement de leur site, de la gestion et de l’animation des équipes pédagogiques. À l’Inspé de Lille, ils sont six, un par site : à Villeneuve d’Ascq, Valenciennes, Outreau, Gravelines, Douai et Arras.

Un échange régulier avec ces référents est nécessaire au Minilab, bien identifié à Villeneuve d’Ascq où il se trouve, mais moins sollicité par les autres sites. Cette relation a beaucoup facilité l’exposition du fab lab par le passé, se remémore Olivier Lemort. Au moment de notre reportage, la rencontre avec les nouveaux responsables pédagogiques de site n’avait pas encore eu lieu et était donc l’un des objectifs de l’équipe.

Le Minilab : une porte d’entrée pour s’orienter dans la pédagogique, ou ailleurs

Chaque année, le service d’innovation pédagogique recrute deux services civiques. En 2023-2024, c’est un jeune venu d’Espagne, particulièrement motivé pour se former en pédagogie qui rejoindra l’équipe à partir de novembre. Le deuxième profil veut devenir psychologue du travail. « Il n’a pas l’air très féru de jeux, mais nous cherchons surtout des créatifs », note Olivier Lemort.

Et suite à cette expérience… le Minilab mène à tout ! Une ancienne, instigatrice d’ateliers sur la couture pédagogique qui ont connu un grand succès, a trouvé sa voie dans cette passion, en indépendante. L’opportunité pour le service d’innovation pédagogique de refaire appel à ses services pour des interventions exceptionnelles à l’avenir ?

La voie qui reste la plus évidente est la pédagogie. Deux membres de l’équipe sont d’ailleurs d’anciens services civiques !