Vie des campus

Lever près de 650 millions d’euros : la campagne ambitieuse de l’Université de Montréal


Lever un milliard de dollars canadiens en dix ans : c’est l’objectif que s’est fixé l’Université de Montréal avec sa campagne L’heure est brave. Un montant record pour un établissement du supérieur francophone, qui s’aligne sur les standards des grandes universités anglophones. Mais comment structurer une campagne de dons d’une telle ampleur ? Engager les communautés, les étapes avant de se lancer… Voici les enseignements clés rapportés lors de la conférence ESR et santé de l’Association française des fundraisers qui s’est tenue les 12 et 13 mars.

L’Université de Montréal veut fédérer les revenus philanthropiques sur dix ans. - © Udem
L’Université de Montréal veut fédérer les revenus philanthropiques sur dix ans. - © Udem

C’est en 2021, alors que la pandémie touche à sa fin, que l’Université de Montréal, sous l’impulsion d’un nouveau recteur et d’un vice-recteur à la philanthropie, envisage de lancer la plus grande campagne de son histoire. L’objectif ? Lever un milliard de dollars canadiens, soit environ 644 millions d’euros en fédérant les dons de plusieurs projets qui visent à « innover pour le bien commun, veiller à la santé du vivant et améliorer le quotidien des communautés ».

Au-delà de l’aspect financier, l’université espère cumuler 200 000 gestes philanthropiques significatifs.

Porter un message fédérateur pour mobiliser les donateurs

Avant même de chercher des mécènes, l’établissement a dû s’interroger : possède-t-il la structure et les talents nécessaires ? Les parties prenantes internes, au-delà de la gouvernance, sont-elles prêtes ? L’environnement externe est-il favorable à une philanthropie de telle envergure ?

Après plusieurs embauches et une étude de faisabilité, l’université avait toute la légitimité pour se lancer dans une grande campagne. Il s’agissait désormais de marquer les esprits avec un slogan fort. C’est avec une agence de communication qu’il a été défini : « L’heure est brave », avec un « b » qui s’avère être un « g » retourné.

« Nous voulions une campagne qui dépasse la simple collecte de fonds. L’heure est brave, c’est un appel à agir, un message qui résonne autant chez nos diplômés que dans la société, explique Claude Bernard, directrice générale stratégie et opérations au vice-rectorat aux relations avec les diplômés et à la philanthropie de l’Université de Montréal. Il s’agissait aussi de donner du sens aux contributions en mettant en avant des projets concrets financés par les dons. »

À travers cette levée de fonds, l’université entend financer des bourses, renforcer ses infrastructures et soutenir la recherche. La santé, également, est particulièrement au centre de ce projet, une discipline forte de l’université qui compte 27 établissements médicaux affiliés.

Un téléscope avec la tour de l’Université de Montréal a été choisi pour illustrer la campagne « L’heure est brave ». - © Université de Montréal
Un téléscope avec la tour de l’Université de Montréal a été choisi pour illustrer la campagne « L’heure est brave ». - © Université de Montréal

Une culture de la philanthropie à construire en interne

L’un des défis majeurs était de faire en sorte que la philanthropie fasse partie du discours commun des doyens, chercheurs et personnels au sein de l’université. Pour y parvenir, un travail de sensibilisation a dû être mené.

« Nous avons organisé des sessions de formation avec les doyens et chercheurs, pour les aider à parler des dons et les intégrer à la dynamique », indique Julie Michaud-Soret, directrice stratégie et gestion des bénévoles de l’Université de Montréal.

Il a aussi fallu communiquer auprès des alumni : « En francophonie, la philanthropie universitaire n’est pas encore un réflexe, contrairement aux universités anglo-saxonnes où donner à son alma mater est une tradition bien ancrée », constate Julie Michaud-Soret.

Les étapes avant de lancer la campagne

Le lancement de la campagne s’est fait en trois étapes :

  • Une phase de planification active. En 2021-2022, la priorité a été de structurer les équipes, recruter et valider les objectifs internes et externes.
  • Une phase silencieuse. En 2022-2023, les premiers grands donateurs et comités ont été mobilisés. De premiers grands dons ont été sécurisés.
  • Une phase publique. Depuis 2024, la campagne est officiellement lancée.

« Il était essentiel de sécuriser de premiers grands dons avant de rendre la campagne publique, explique Claude Bernard. Ces contributions initiales donnent confiance aux autres mécènes et permettent d’arriver sur la scène publique avec une base solide. »

Cette approche a porté ses fruits : en un an de phase publique, l’université a déjà atteint 730 millions de dollars et 133 000 gestes significatifs.

Qu’est-ce qu’un « geste significatif » ?

Les gestes comptabilisés dans la campagne de l’Université de Montréal comprennent : le nombre de dons, les participations actives aux événements de l’université et divers gestes de bénévolat, comme du mentorat entre diplômés.

L’engagement des diplômés, un levier sous-exploité

L’Université de Montréal compte 450 000 diplômés. Pourtant, ils ne représentent aujourd’hui que 10 % des dons, contre 70 % dans certaines universités anglophones.

Julie Michaud-Soret est directrice stratégie et gestion des bénévoles de l’Université de Montréal. - © Université de Montréal
Julie Michaud-Soret est directrice stratégie et gestion des bénévoles de l’Université de Montréal. - © Université de Montréal

« Nous avons longtemps sous-estimé la force de notre réseau, reconnaît Julie Michaud-Soret. L’heure est brave est l’occasion de réengager nos diplômés, non seulement à travers des dons, mais aussi par le bénévolat. »

Pour structurer cet engagement, l’université encadre les bénévoles, les met en réseau et choisit qui sollicitera quel prospect, afin d’éviter les sollicitations multiples.

« Beaucoup d’anciens élèves veulent aider, mais ne savent pas comment, analyse Claude Bernard. En leur donnant des outils et un rôle clair, on transforme leur attachement à l’université en une force de mobilisation. »

Une structure bénévole avec « une implication sans précédent des alumni »

Un projet de cette ampleur nécessite une distribution des rôles entre plusieurs instances :

  • Un comité exécutif avec quatre co-présidents bénévoles et influents.
  • Un comité d’honneur, qui regroupe les grands donateurs et dont le rôle est honorifique.
  • Un cabinet de campagne, composé de bénévoles diplomés influents des doyens et directeurs d’unités.
  • Des comités consultatifs internationaux, présents à Paris, Toronto et New York. Des comités bénévoles sont présents dans les grandes régions où se trouvent des alumni (23 000 en France notamment).

En outre, une équipe était dédiée aux dons très importants, de plus d’un million de dollars.

« Avoir une structure solide rassure les mécènes, explique Julie Michaud Soret. Lorsqu’un donateur investit une somme importante, il veut savoir comment elle sera utilisée et qui pilote le projet. Une gouvernance bien définie est donc essentielle. »

Autre élément clé : un logiciel de gestion de la relation donateur performant. L’université a investi dans Blackbaud raiser’s edge NXT.

« Il est crucial de bien suivre les interactions avec nos mécènes, de les remercier et de les fidéliser, souligne Claude Bernard. Chaque relation compte, et un bon outil nous permet d’être précis et réactifs. »

Apprendre des universités anglophones

Pour structurer sa campagne, l’Université de Montréal s’est inspirée des modèles nord-américains. « Notre vice-recteur à la philanthropie vient de McGill University, un établissement anglophone avec une forte culture du don, précise Julie Michaud-Soret. Il a apporté son expertise et nous a aidés à adopter des pratiques éprouvées. »

L’université a également fait appel à un cabinet de conseil spécialisé en campagnes philanthropiques, basé aux États-Unis.

« Il ne s’agissait pas de copier-coller un modèle anglo-saxon, mais de l’adapter à notre réalité francophone, nuance Claude Bernard. Par exemple, nous avons dû travailler davantage sur l’éducation des parties prenantes, car la culture du don est moins ancrée chez nous. »

Inspirer les universités francophones

Lancer une campagne à un milliard de dollars pourrait sembler démesuré pour une université francophone. Pourtant, Montréal assume pleinement son ambition.

Claude Bernard est directrice générale stratégie et opérations aux relations avec les diplômés et à la philanthropie de l’Université de Montréal. - © Université de Montréal
Claude Bernard est directrice générale stratégie et opérations aux relations avec les diplômés et à la philanthropie de l’Université de Montréal. - © Université de Montréal

« Nous devons cesser de nous auto-limiter, affirme Claude Bernard. Pourquoi les universités francophones ne pourraient-elles pas atteindre les mêmes niveaux de dons que leurs homologues anglophones ? »

Si l’objectif est atteint, cette campagne marquera un tournant dans la philanthropie universitaire au Québec et pourrait inspirer d’autres établissements à oser des campagnes de plus grande envergure. D’ores et déjà l’ambition a ouvert des portes : « Nous avons été invités à faire partie d’un groupe canadien de pratiques de levées de fonds pour la recherche », indique Claude Bernard.

« Nous ne faisons que commencer, conclut Julie Michaud-Soret. Cette campagne va bien au-delà d’une levée de fonds. Elle vise à changer durablement la place de la philanthropie dans l’université. »

Leur fierté à ce stade de la campagne ? « Avoir contribué à changer les mentalités sur la philanthropie », sourit Claude Bernard. Pour Julie Michaud-Soret : « Avoir mis une campagne sur pieds en un temps record. »